vendredi 25 octobre 2019

Essais d'Antoine Froment, Grenoble, 1639

« cinq exemplaires seulement de l'édition originale sont connus aux plus intrépides bibliophiles de notre province »
C'est par ces mots qu'Aristide Albert justifie sa réédition des Essais d'Antoine Froment, en 1868. Depuis peu, j'ai la chance d'appartenir à ces « intrépides bibliophiles » dauphinois, car j'ai réussi à faire entrer un exemplaire dans ma bibliothèque, exemplaire qui ne fait d'ailleurs partie des cinq dont parle A. Albert.



Il s'agit d'un ouvrage paru à Grenoble en 1639 qui est d'abord le récit circonstancié, en 7 journées et 7 semaines, de l'incendie qui détruisit presque entièrement Briançon le 1er décembre 1624. Mais, plus largement, l'auteur, natif de Briançon, a multiplié les chapitres sur de nombreux autres faits concernant sa patrie : Tremblement de terre, Ravage des loups, Sur le passage du Roy [Louis XIII] par le Briançonnois, De la peste, Sur la stérilité des saisons, et la famine, Des avalanches et enfin Du débordement des feux, et des eaux par le Briançonnois. On le voit, les sujets ne manquent pas.

Cet ouvrage a souvent été critiqué comme en témoigne ce florilège de quelques avis : « ouvrage d'une tête exaltée, sans méthode et sans savoir » (Faujas de Saint-Fond), « un essai quelque peu indigeste » (baron Ladoucette), « la rareté [en] constitue le seul mérite. » (Rochas), « fatras d'érudition [...] inintelligible » (Lelong), etc.

Malgré cela, ce livre a plusieurs mérites. D'abord, il s'agit du premier ouvrage imprimé uniquement consacré à Briançon et au Briançonnais, ce qui en fait, en quelque sorte, un « incunable » briançonnais. Il faut attendre plus d'un siècle, en 1754, pour que paraisse le Mémoire historique et critique sur le Briançonnais, de Jean Brunet de l'Argentière. Ensuite, malgré cette érudition envahissante, on peut y glaner de nombreuses informations, qui proviennent d'un témoin oculaire et d'un natif de Briançon. Jacqueline Routier, dans son histoire de Briançon, a su utiliser ce que l'on peut extraire de la « gangue » de citations.

En ces temps où les loups et leur « ravage » - au singulier, chez Antoine Froment, tant les ravages des loups sont comme une plaie - font l'actualité dans nos montagnes, relire ce qu'en dit Antoine Froment montre l'abîme qui sépare la perception moderne, même si elle est loin de faire l'unanimité, et ce qu'il en rapporte. Les loups sont un fléau. A la différence d'aujourd'hui - j'imagine que les loups ont aussi vu évoluer leur comportement-, ils n'hésitaient pas à s'attaquer aux personnes. Nos loups actuels, en ne mangeant que des brebis, sont des petits joueurs :
Le Sergent d'une Compagnie se retirant à cheval sur le tard, trouva prés des maisons de l'hameau de Font-Chrestiane, le Loup couché à travers du chemin, qui l'assaillit si furieusement, que sans le soudain secours il n'avoit dequoy avec son espée eviter d'estre la curée de cet ennemy. Une pauvre fille de Queyras en fut la proye la nuict au devant de la Ville: on la recognut le lendemain par sa tresse blonde: l'epicrane et tel autre reliquat de la teste qu'encor fraiz et sanglant tout un monde fut voir. On trouva mesme dans le ventre d'un Loup mort ou tué de-çà le Mont-Genévre, le doigt d'un enfant. [...]
Encor le plus beau jour de Juin 1629, un jeune Loup descendant du Bois de Ville à dix heures du matin, passa au conspect de plusieurs à un traictde mousquet d'icelle, tout proche du sieur Procureur du Roy et mon Cadet, qui s'y promenoient : de-là descendit prés des servantes qui lavoient à Fontrogiere, allat mettre en deroute par la campagne des femmes qui sarcloient, et luy crirent, Au Loup ; et fut veu traverser la Riviere gaignant la montée, à la poursuite d'un troupeau de brebis effarouchées, par le costé opposite de la vallée. (p. 276, de la réédition de 1868).
Ce court texte est un bon exemple de ce que l'on peut trouver dans ce livre. Dans ce chapitre sur les loups, Antoine Froment n'abuse pas de cette érudition qui rend certains passages quasiment illisibles.

Pour ceux qui voudraient lire l'ouvrage, il est accessible sur GoogleBooks dans la réédition de 1868 : cliquez-ici.

Pour les amateurs de bibliographie, je me suis aussi penché sur le nombre d'exemplaires et sur l'histoire de l'impression.

Le nombre d'exemplaires donné par Aristide Albert doit être revu à la hausse. Pour ma part, j'en ai compté une dizaine, y compris celui-ci, dont cinq dans des bibliothèques publiques. Dans la page que j'ai consacrée à cet ouvrage, je détaille les exemplaires identifiés. Je suis bien entendu intéressé par tout autre exemplaire encore inconnu.

Même s'il ne porte aucune mention de possesseur, je pense que mon exemplaire est celui d'Eugène Chaper, le célèbre bibliophile dauphinois. Comme d'autres ouvrages de même provenance, il a été relié par Pagnant.


Je me suis aussi penché sur l'histoire, toute conjecturale, de l'impression de cet ouvrage. Il faut avoir eu en mains l'ouvrage pour constater qu'il n'a pas été imprimé en une seule fois. Je vous laisse découvrir mon hypothèse.

Lien vers la page sur le site Bibliothèque dauphinoise : Essais d'Antoine Froment
J'ai aussi mis à jour la page consacrée à la réédition de 1868 : Essais d'Antoine Froment, avocat au Parlement du Dauphiné.