samedi 21 décembre 2013

La série complète des Annuaires des Hautes-Alpes sous l'Empire

La patience et la persévérance sont les vertus indispensables des collectionneurs. Après de nombreuses années de recherches et de chine, je viens de compléter la série des 5 annuaires des Hautes-Alpes parus sous l'Empire.

Pour dire  la rareté de cette série, il suffit de signaler que seule la Bibliothèque Nationale possède la série complète. Le Fonds Dauphinois de la Bibliothèque Municipale de Grenoble, pourtant si riche et si complète, ne contient que 3 des 5 ouvrages.


Ces 5 annuaires sont parus en l'an XII (1803-1804), l'an XIII (1804-1805), 1806, 1807 et 1808, à l'instigation du préfet Ladoucette. Arrivé dans les Hautes-Alpes en 1802, ce jeune - il n'avait que 39 ans - et dynamique préfet voulut concourir à une meilleure connaissance du département. Cela prit d'abord la forme d'un annuaire qui combine les renseignements administratifs, nécessaires pour consolider la connaissance des nouvelles institutions, et les renseignements "statistiques", pour reprendre le terme de l'époque. Tous les aspects du département sont abordés : topographie, villes, bourgs, histoire naturelle, population, administration, agriculture, industrie, instruction publique, beaux-arts, etc. Seule l'histoire du département ne fait l'objet d'aucun développement, ce qui est peut-être une forme de prudence en ce début de règne de Napoléon.

A travers ces 5 annuaires, c'est ainsi que s'esquisse une Statistique du département des Hautes-Alpes, comme de nombreux autres départements français de l'époque. Ladoucette puisera largement dans cette matière pour publier en 1820 son Histoire, antiquités, usages, dialectes des Hautes-Alpes, précédés d'un essai sur la topographie de ce département, et suivis d'une notice sur M. Villars.

Pour finir ce court message, une vue des 5 pages de titre :







Une description précise et complète se trouve sur le site : cliquez-ici.

vendredi 6 décembre 2013

De l'intérêt des thèses pour l'histoire régionale.

On oublie trop souvent qu'à côté des ouvrages "régulièrement" publiés, il existe toute une production imprimée qui est une source indispensable pour connaître nos régions. Aujourd'hui, je veux parler des thèses. Non pas celles, bien connues, produites par les universitaires du XXe siècle (je pense par exemple à la thèse d'André Allix sur l'Oisans : cliquez-ici), mais je souhaite parler de ces "petites" thèses parues tout au long du XIXe siècle, souvent des thèses modestes par la taille et l'ambition. C'est, par exemple, une thèse de Jacques Léon : Contribution à l'étude du goitre dans les Hautes-Alpes, thèse présentée à la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Lyon en 1894, qui étudie particulièrement les causes et les mesures prophylactiques du goître.

Celle dont je veux parler aujourd'hui est un court opuscule de 32 pages : Essai sur la Topographie physique et médicale de Briançon, par Antoine Reynaud, un chirurgien militaire de l'Isère qui a présenté cette thèse devant la faculté de médecine de Montpellier pour obtenir le grade de docteur en 1819 (pour plus de détails, cliquez-ici). Remarquons au passage qu'en ces temps-là, l'exigence sur les thèses, tant sur la forme que sur le contenu, était très en-deçà de notre époque, voire même de la fin du même siècle.


Ce qui fait l'intérêt de ce texte, c'est qu'il s'agit de la première topographie médicale du Briançonnais, autrement dit de la première étude sur la situation sanitaire et médicale de cette région. 

Ce texte, par sa nature même, a sûrement été tiré à un très petit nombre d'exemplaires, à destination essentiellement du jury et de quelques personnes. Cela explique aussi que cet ouvrage soit inconnu de toutes les bibliographies briançonnaises ou dauphinoises.

L'intérêt de ce texte réside surtout dans le regard que porte une personne étrangère au pays sur les conditions de vie, les mœurs et coutumes et, partant de là, sur la condition sanitaire des habitants. On y retrouve quelque images fortes qui seront répétées tout au long du siècle : l'isolement, la neige pendant presque 9 mois de l'année, les forts écarts de températures même en été, le confinement des paysans dans les étables avec le bétail pendant l'hiver, le goître endémique, etc. A lire ce texte, comme d'autres plus tard, on s'étonne qu'une population ait pu survivre dans cette région dans de telles conditions.

Cette topographie est la première qui a été publiée sous une forme séparée. Auparavant, comme l'indique lui-même A. Reynaud dans sont Avant Propos, avait paru un Mémoire topographique et médical de la ville de Briançon, par M. Bouillard, chirurgien-major de l'hôpital militaire de cette ville, dans le Journal de médecine militaire, 1788, mémoire qu'il juge trop avantageux. Autrement dit, il ne lui trouve pas ce côté misérabiliste, qui forme le fond de sa propre analyse.

En 1816, le sous-préfet Chaix a fait paraître une Topographie, histoire naturelle, civile et militaire, économie politique et statistique de la sous-préfecture de Briançon pour servir de canevas aux topographies administratives, Paris, P. N. Rougeron, 1816, in-8°, 92 pp. Elle n'était pas spécifiquement consacrée à l'aspect médical de la description de la région.

lundi 25 novembre 2013

Un livre à paraître sur les cartes du Dauphiné

J'ai le plaisir de vous présenter un livre en souscription, que je vous laisse découvrir :





Ce beau livre prometteur, tant par la qualité du texte et des recherches, que par la variété et la rareté des illustrations, devrait vite devenir la référence sur la cartographie du Dauphiné. Il fait suite à un précédent livre de Jacques Mille : Hautes-Alpes. Cartes géographiques anciennes (XVe - mi XIXe siècle), uniquement consacré aux cartes des Hautes-Alpes, qui, lui aussi, est devenu une référence sur le département.



Vous pouvez télécharger un bulletin de souscription : cliquez-ici.

mercredi 13 novembre 2013

Martino Baretti : Otto giorni nel Delfinato, 1873

Poursuivant l’enrichissement de ma bibliothèque avec tout ce qui a pu paraître à l’étranger sur les Alpes dauphinoises, j’ai déniché récemment une plaquette rarissime chez un libraire turinois. J’aurais l’occasion à la fin de ce message de raconter comment je suis arrivé jusqu’à elle.


Rappelons quelques faits pour comprendre tout l’intérêt de ce texte. Jusqu’au début des années 1860, le massif des Ecrins (appelé parfois massif de l’Oisans) était en grande partie inconnu. La seule carte valable était celle de Bourcet, parue en 1758. Aucun des sommets majeurs du massif n’avait été gravi (sauf le Pelvoux, mais personne ne le savait). Pis que cela, le point culminant du massif n’était pas clairement identifié. La carte d’Etat-Major de la région n’avait pas encore été publiée (elle le sera en 1866). On le voit, il y a 150 ans, certaines régions lointaines du monde étaient mieux connues que nos propres montagnes françaises.


Malheureusement pour notre chauvinisme, ce sont d’abord les Anglais qui ont exploré et décrit le massif. Je rappelle juste les noms de Whymper, Tuckett, T. G. Bonney, Mathews, Coolidge, etc. L’existence du premier Club Alpin, fondé en Angleterre en 1857, a été un puissant facteur d’émulation et une tribune indispensable pour partager les découvertes. C’est ce que l’on a vu dans la série des Peaks, Passes and Glaciers ou dans les premiers volumes de l'Alpine journal, qui ont fait l’objet du message précédent. 

Comme certains des explorateurs anglais, c’est mû par une curiosité scientifique que Martino Barettti (1841-1905), géologue italien, explora le massif des Ecrins en août 1872. Parti de Bardonnèche en Italie, il rejoignit Ailefroide, explora plus particulièrement le secteur du Pelvoux et des Ecrins. Comme les Anglais, il pouvait profiter de la tribune que lui offrait le Club Alpin Italien, tout récemment créé, qui, à l’instar de son aîné, publiait un Bollettino. C’est dans celui de l’année 1872-1873 qui M. Baretti fit paraître le récit de son voyage. Il en a ensuite été fait un tiré à part de 72 pp., paru en 1873 : 
Otto giorni nel Delfinato,Torino, G. Candeletti, successore G. Cassone e Comp., Tipografo-Editore, 1873, in-8° , 72 pp., 4 planches en chromolithographies in fine hors texte dont 3 dépliantes.


Pour ce que j’ai compris du texte (ma lecture de l’italien reste approximative), il n’y a pas d’apport majeur. Il fait d’ailleurs souvent référence à T. G. Bonney, qui, avec Tuckett, sont ceux qui ont le mieux éclairci la structure interne du massif. Ce qui fait la valeur de cet ouvrage sont les 4 magnifiques planches chromolithographiques qui illustrent l’ouvrage. Elles méritent chacune d’être détaillées.

La première (numérotée VII, pour tromper le bibliophile anxieux d’acheter un ouvrage complet de ses planches), est une carte sommaire du massif, mais dont toute la valeur est dans son aspect esthétique. Certes, elle n’apporte pas d’éléments nouveaux par rapport à la carte de T G. Bonney et à la carte d’Etat-Major, mais, pour la première fois, on tente de donner une représentation plus esthétique du massif.


La deuxième est une vue du Pelvoux depuis le refuge Tuckett. Cette vue, une des plus classiques du massif, avait déjà été donnée par Bonney. Historiquement, c’est la deuxième qui a paru (je ne pense pas me tromper, mais je suis disposé à être contredit). 


A titre de comparaison, je donne l'autre vue qui l'a précédée.


Troisième planche, un panorama du massif depuis le sud-est et deux des faces des Ecrins, la face nord depuis le col du Glacier Blanc et la face sud-ouest, depuis le glacier de la Pilatte.


Enfin, la quatrième et dernière est un magnifique panorama en couleurs de l’ensemble du massif, sur une grande planche dépliante de plus de 60 cm de long. Cette planche est intéressante à plusieurs titres. C’est d’abord le premier grand panorama du massif, ensuite, c’est le premier panorama en couleurs, enfin, je le trouve beau… 



Et maintenant, me direz-vous, où étaient les Français ? Il faut reconnaître qu’ils sont arrivés un peu plus tardivement. Certes, ils étaient déjà présents, explorant le massif, mais ils ne disposaient d’aucune revue ou journal leur permettant de publier leurs observations. Au niveau national, il a fallu attendre la création du Club Alpin Français, en 1874, et la parution du premier annuaire en 1875 pour que l'on puisse enfin lire les textes des Paul Guillemin, Henri Ferrand, Henry Duhamel, etc. Au niveau local, c'est la création de la Société des Touristes du Dauphiné qui a accompagné cette « prise en mains » du massif des Ecrins par les Français.


Pour revenir à l’introduction du message, je voudrais dire en 2 mots comment j’ai découvert cet ouvrage. Auparavant, il faut dire que je ne l'ai jamais vu en 15 ans de chine bibliophilique et surtout que je n'en avais jamais entendu parler dans aucune des bibliographies ni aucun des ouvrages sur les Alpes ou le massif des Ecrins. Au passage, j’espère que je ferais découvrir un livre, indispensable, me semble-t-il, aux quelques amateurs de nos montagnes du Dauphiné.

Pour revenir à ma quête du Graal, je disais que je ne l'avais vu dans aucune bibliographique. C’est vrai sauf… dans un ouvrage de Paul Guillemin, auteur dont on ne dira jamais assez ce qu’il nous apporte encore pour l’histoire des Alpes dauphinoises.


J’avais noté cette référence dans ma bibliographie, mais je n’y avais pas plus porté attention. Il y a tellement de plaquettes… Cependant, profitant d’un passage à Grenoble, j’ai consulté l’ouvrage dans le Fonds Dauphinois de la Bibliothèque Municipale de Grenoble et, là, je suis tombé en arrêt devant ce livre. Il me le fallait ! Ensuite, plus classiquement j’ai lancé une recherche sur internet, ce qui m’a conduit jusqu’à ce libraire italien. Après avoir acquitté un prix italien (si l'Italie est le pays d’une certaine légèreté, ce n'est clairement pas le cas pour le prix des livres anciens…), il est venu rejoindre ma bibliothèque. Après l’avoir ausculté, détaillé, photographié, décrit, je partage avec vous ma découverte.


vendredi 1 novembre 2013

L'Alpine Journal : quelques textes fondateurs sur les Alpes Dauphinoises.

Comme je l'évoquais dans un message récent, ceux qui s'intéressent à l'histoire de la découverte et de l'exploration des Alpes dauphinoises et plus particulièrement du Massif des Ecrins ne peuvent pas faire l'impasse sur ces publications anglaises qui contiennent quelques uns des texte fondateurs pour la connaissance du massif. J'ai déjà parlé des ouvrages de Forbes (Norways and its glaciers), du Rev. T. G. Bonney (Outline Sketches in The High Alps of Dauphiné). J'ai présenté il y a quelques années un recueil d'articles de l'Alpine Club, Peaks, Passes and Glaciers. Second Serie, publié en 1862 qui contenait déjà quelques articles intéressant sur les Alpes dauphinoises. A partir de 1863, l'Alpine Club abandonna le principe des recueils et fit paraître une revue trimestrielle, l'Alpine Journal, ensuite regroupée en volumes annuels. Ce sont les 28 premiers numéros, formant 4 volumes, qui viennent de rejoindre ma bibliothèque. Ces 4 volumes couvrent 7 années, de mars 1863 à février 1870.


Ils sont dans la reliure de l'éditeur, une percaline brique avec un des volumes illustré d'un motif doré sur le plat.




Ils contiennent quelques articles fondamentaux sur les Alpes dauphinoises, d'une valeur scientifique supérieure à ceux parus précédemment.  En préambule, signalons que la préface du premier volume (Introductory Address) qui présente l'esprit et les objectifs de cette nouvelle revue, cite nommément le Dauphiné, parmi les régions des Alpes qui restent à découvrir : "The number of persons who know the mere name of the highest mountain in the great Dauphine group may be reckoned by tens". C'est un des but de la revue de contribuer à une meilleure connaissance des montagnes partout dans le monde.

Ce sont 3  Anglais, F. F. Tuckett, le Rev. T. G. Bonney et W. Mathews qui mirent à profit les étés 1862 et 1863 pour procéder à une exploration systématique du massif. Ces récits, complétés de nombreux tableaux de mesures, sont ensuite publiés dans l'Alpine Journal :
- Explorations in the Alps of Dauphiné, during the month of July, 1862. Read at the meeting of Alpine Club, June 9th, 1863, F. F. Tuckett, F.R.G.S. 
- The Grandes Rousses of Dauphiné, Wm. Mathews, Jun., M.A.
- The range of the Meije, Dauphiné, Rev. T. G. Bonney, M.A., F.G.S.

Le premier article est illustré de schémas novateurs dans leur esprit, en introduisant une manière détaillée et précise de représenter les montagnes, loin des styles plus artistiques et travaillées de leurs prédécesseurs :

The Ailefroide, Écrins, and Pelvoux, from above Guillestre

The Col and Pointe des Écrins seen frome the slopes N.W. of Les Étages

The Pointe des Ecrins col and névé of Glacier Blanc, from Col du Glacier Blanc

Chacun à leur manière, ces schémas sont les premières représentations fidèles et précises des sommets du massif. Le premier complète la vue plus restreinte du Pelvoux que  Whymper  a donné dans Peaks, Passes en Glaciers, Second Serie. Les deux autres sont les premières représentations de la Barre des Ecrins (face ouest, depuis les Etages, et face Nord avec le Glacier Blanc) avec la topographie associée.

Pour me faire comprendre, on peut comparer le 2e schéma avec la même représentation des Ecrins paru dans Peaks, Passes and Glaciers. Second Serie.


Le 2e volume  contient aussi le récit de la première ascension de la Barre des Ecrins, le 25 juin 1864, par Edward Whymper, A. W Moore, Horace Walker et les guides Michel Croz et Christian Almer. Il est illustré d'une très belle représentation des Ecrins, depuis le col du Galibier, d'après un dessin de Whymper. C'est la première représentation connue des Ecrins.


Pour finir, il y a un article savoureux de A. W. Moore sur les premières expéditions hivernales dans les Alpes, la première, en Suisse, durant l'hiver 1866 et la seconde, durant l'hiver 1867, en Dauphiné : On some winter expeditions in the Alps, Read before the Alpine Club, on June 8, 1869. Ce petit texte, rapportant une anecdote en 1867, montre comment l'image de la montagne en hiver s'est radicalement inversée en 150 ans.
Crossing, that afternoon, the little Col de Valloire, I slept in a very primitive inn in the village of the same name. On the top of the col I met a ' Commis-Voyageur' on his way back to St. Michel, who, naturally surprised at meeting a stranger in such a place at such a season, enquired for what purpose I was travelling; on my responding 'pour plaisir,' he threw up his hands, and, with a glance round at the dreary, snow-covered landscape and the gathering clouds, exclaimed in a tone suggestive of his own intense antipathy to his surroundings, 'que diable de plaisir !' and then fled down to St. Michel and civilisation, as though he had been escaping from a dangerous lunatic.

Pour en savoir plus, voir la page que je leur consacre sur mon site : Alpine Journal, vol. I-IV (1863-1870).

En guise de supplément, pour ceux qui sont friands de curiosités géographico-administratives, j'ai découvert une curiosité à l'occasion de l'acquisition de ces livres. Je les ai achetés à un libraire à Vancouver au Canada et ils ont été expédiés depuis les Etats-Unis. En réalité, les frontières tirées au cordeau ont fait que qu'un petit bout du territoire de Vancouver se trouve aux Etats-Unis. C'est Point Roberts (le A de la photo ci-dessous).


J'ai appris que l'on appelle cela une exclave : un morceau de terre sous souveraineté d'un pays du territoire principal duquel il est séparé par un ou plusieurs pays ou mers.

samedi 5 octobre 2013

Etienne Janus Girard : un peintre savoyard à Naples

Ce dont je vais vous parler n'est pas un livre. Cela n'a pas non plus de rapport avec le Dauphiné. C'est pourtant une trouvaille récente que je suis heureux d'avoir ajoutée à ma collection. Il s'agit d'un tableau que je vous laisse découvrir :


Il est signé et daté en bas à gauche : "Jean Grossgasteiger/1861" (pour en savoir plus sur ce peintre, voir en fin de message).

Comme on peut le voir, il représente un tombeau avec, en arrière plan, un paysage méditerranéen que l'on identifie immédiatement comme la baie de Naples, avec le le Vésuve fumant légèrement au dernier plan.  En s'approchant, on voit que ce mausolée porte une longue inscription :


On peut la déchiffrer avec un peu de patience (et une bonne vue !) :

A la mémoire chérie
de Etienne Janus Girard
Négociant Paysagiste Amateur
Né à St-Alban (Savoie) le XXVIII Décembre MDCCCXX
Décédé à Naples le IV Septembre MDCCCXLIX
La prédilection pour le genre d'art qu'il cultiva
lui mérita de bonne heure
plusieurs mentions honorables.
Fils tendre, frère affectueux,
tu vivras sans cesse dans le cœur de tes parents
et le bonheur que tu goûtes en l'autre vie
peut seul adoucir
l'amertume de leurs regrets.
Priez pour lui

Comme on le voit, le peintre a représenté le tombeau d'un de ses confrères. Mais qui est donc cet Etienne Janus Girard ?

Son acte de baptême dans les registres de Saint-Alban-Leysse, en Savoie, nous apprend qu'il est le fils de Joseph Girard et de Jacqueline Rosset :


Son acte de décès passé le 4 septembre 1849 dans le quartier (Circondario) San Fernando nous apprend qu'il est mort célibataire le 3 septembre 1849 (et non le 4 comme l'annonce la tombe) à l'âge de 28 ans. Il est appelé Stefano Girard, son prénom ayant été italianisé. Il est alors cartaio, comme son père, dont le prénom a été lui aussi italianisé en Guiseppe. Il vit avec ses parents au 185 de la Via Toledo, la grande artère commerçante de Naples.


En réalité, avant même d'avoir acheté ce tableau, j'en savais plus sur cette famille et la raison de sa présence à Naples en ce milieu du XIXe
siècle.

Au mois d'août 1821, le pharmacien grenoblois Etienne Breton dépose avec ses fils une demande pour la construction d'une papeterie au Pont-de-Claix, un hameau proche de Grenoble, célèbre pour son pont en une seule arche au-dessus du Drac. Pour constituer son personnel, il fit visiblement appel à des ouvriers ayant déjà des compétences dans le métier. Justement, à Saint-Alban-Leysse, en Savoie, près de Chambéry,  se trouve une papeterie fondée par la famille Aussedat, provenant d'Annonay. On peut imaginer que c'est à ce titre là que Joseph Girard, né à Saint-Alban en 1791, et sa femme Jacqueline Rosset, née au Bourget-du-Lac, sont venus habiter le Pont-de-Claix, où on les retrouve dès 1825. Joseph Girard est alors qualifié de papetier, résidant près le Pont-de-Claix à la papeterie de Mr Breton, né Saint-Alban (Savoie). Leurs deux premiers enfants, dont Etienne qui nous intéresse ici, sont nés à Saint-Alban. Ensuite, l'ouvrier papetier semble avoir bien évolué. Vers 1830, sans que l'on connaisse la date précise, il s'installe à Naples, on on le trouve qualifié de "negoziante di carta", de "fabricante di carta" ou "cartaio", tous termes que l'on peut résumer sous le titre de "papetier" (Carta est un faux ami en italien; cela signifie papier). Il assurait probablement la distribution des productions de la papeterie du Pont-de-Claix dont on sait qu'en 1838, elle vend 38 % de sa production dans la péninsule.



Dans cet Album scientifico-artistico-letterario. Napoli e sue provincie, publié en 1845 par Borel et Bompard (deux libraires briançonnais installés à Naples !), dans la rubrique : Librai, Ligatori e Negozianti di Carta ed Oggetti da Scrittoio, il est mentionné :

Le "G" pour Guiseppe, soit Joseph en italien.

Joseph Girard et Jacqueline Rosset se sont installés avec leur 3 enfants. Ils auront deux autres enfants, nés à Naples en 1834 et 1836. C'est comme cela que l'enfant Etienne, de Saint-Alban, s'est retrouvé à Naples où il a pu donner libre cours à sa passion pour la peinture dans une ville propice à cela. Cependant, la peinture n'occupera pas toute sa vie, car il contribue aussi, avec son père et ses frères, au négoce de papier qui est en train de faire la fortune de la famille, d'où son qualificatif de "Négociant" sur son tombeau et de "Cartaio" (papetier) dans son acte de décès. C'est peut-être l'origine du prénom supplémentaire "Janus", choisi pour illustrer les deux faces de sa personnalité : négociant et peintre. Il l'a peut-être utilisé comme nom d'artiste.

La présence de la famille est attestée à Naples jusqu'au milieu des années 1850. Ils reviendront s'installer au Pont-de-Claix où il feront construire une belle maison bourgeoise à l'entrée de la ville, au bout du cours Saint-André, en venant de Grenoble.

Une dernière remarque. Même si les liens entre cette famille et la papeterie de Pont-de-Claix expliquent en partie leur présence à Naples et leur activité de papetier, je m'interroge sur le choix de cette destination. N'y avait-il pas déjà un représentant de la famille dans cette ville ? En effet, lors de mes recherches sur Guisepppe Girard, j'ai trouvé une autre personne portant ce nom et ce prénom, d'origine française et installé au début du XIXe siècle aussi via Toledo où il exerçait la profession d'éditeur de musique (il a publié les œuvres de Rossini, Donizetti, etc.) S'agissait-il d'un oncle de notre Joseph Girard, ce qui expliquerait ce regroupement familial. L'enquête continue !

Pour revenir au peintre Etienne Janus Girard, il faut constater que, malheureusement, il ne semble pas avoir signé ses œuvres. J'ai la chance de posséder un de ses tableaux, que m'avait donné une de mes cousines :


Comme on le voit, il est de bonne facture. Je sais qu'il en existe, dispersés dans la famille, ainsi que d'autres que les partages et ventes ont fait disparaître, si l'on peut dire, puisqu'il est désormais impossible de les identifier, à cause de leur anonymat.

Le tombeau d'Etienne Janus Girard existe toujours au cimetière de Poggioreale à Naples. Il a été répertorié dans un inventaire du patrimoine. A ce titre, il a fait l'objet d'une notice (cliquez-ici), illustrée d'une photographie qui met malheureusement mal en valeur le monument :


Comme pour répondre à ce tombeau, tout le reste de la famille Girard, c'est à dire ses parents, ses frères et une partie de ses neveux, jusqu'à nos jours, est enterrée au cimetière Saint-Roch à Grenoble. Hasard ou prémonition, j'ai photographié ce tombeau monumental cet été :


En définitive, pourquoi je m'intéresse tant à ce peintre ? Tout simplement, c'est un de mes lointains oncles. Son frère aîné, Antoine Girard (Saint-Alban-Leysse 9 septembre 1818 -  Pont-de-Claix 21 septembre 1896) est l'arrière-grand-père de mon arrière-grand-mère.


Jean Grossgasteiger

Jean Grossgasteiger est un peintre autrichien, né dans le Tirol en 1820, actif à Naples au milieu du XIXe siècle. On le trouve ensuite à Madrid (1862). Sur Internet, on trouve quelques informations, ainsi que quelques œuvres, comme ces deux tableaux dont le style est proche du nôtre.

Napoli, Capo Posillipo con Ischia sullo sfondo
signé et daté en bas à droite : "Jean Grossgasteiger/1857"


Napoli dalla collina di Posillipo
signé et daté en bas à gauche : "Jean Grossgasteiger./1857"

Dans le même ouvrage dont nous parlions plus haut, il existait à Naples en 1845 un horloger du même nom :
"Grossgasteiger Nicola orologiaio al vico Birri a Toledo numero 2"
Est-ce que, comme Etienne Girard, Jean Grossgasteiger était arrivé à Naples en suivant ses parents ? Il aurait ainsi un destin semblable à celui d'Etiene Girard dont il était le strict contemporain.Peut-être étaient-ils amis et ce tableau était un hommage à un ami trop tôt disparu ?

samedi 7 septembre 2013

Vacances dauphinoises et alpines

Après la pause estivale, il est temps de reprendre les bonnes habitudes blogueuses. L'été, qui a évidemment inclus un séjour dans les Alpes, s'est avéré riche en rencontres, trouvailles, découvertes, etc.

Pour commencer par la bibliophilie, une belle trouvaille chez un bouquiniste à Gap. Un exemplaire de la première histoire imprimée de la ville de Gap, par Théodore Gautier : Précis de l'histoire de la ville de Gap, Gap, 1844.Ce livre est déjà peu courant, mais cet exemplaire à 3 intéressantes caractéristiques :
- un exemplaire sur grand papier (un vélin fort) à grandes marges, non rogné.
- une reliure romantique d'époque. On pourrait certes se montrer plus exigeant sur la qualité de la reliure, mais pour ce type d'ouvrage, à diffusion très locale, la qualité de cette reliure me semble être le maximum que l'on puisse espérer trouver.
- une provenance intéressante. Il provient de la bibliothèque du commandant Vivien (1777-1850), un soldat de l'Empire dont les mémoires ont été publiées en 1907 par Emmanuel Martin : Souvenirs de ma vie militaire, 1792-1822. Originaire d'Orléans, sa présence à Gap en ce milieu du XIXe siècle s'explique par son mariage avec une jeune gapençaise. Il était aussi le propre beau-frère par les femmes de Théodore Gautier, l'auteur de l'ouvrage. Hasard ou pas, le manuscrit de ses souvenirs a été récemment vendu chez Christie's : cliquez-ici.



Démonstration par l'image de la différence entre deux exemplaires du même ouvrage : un sur grand papier à grandes marges et l'autre sur papier ordinaire et rogné.



Pour rester dans les livres anciens, une plaquette sur un fait très locale de l'histoire des Hautes-Alpes : La station préhistorique de Panacelle et les peuples anciens du bassin de Guillestre, par l'abbé Paul Guillaume, 1877.
Elle m'a séduite par sa double provenance : Félix Perrin, puis Henri Ferrand. Un achat qui confine au fétichisme, d'autant plus que j'avais déjà un exemplaire relié de cet ouvrage.

A propos de Félix Perrin et Henri Ferrand, et sans transition, je me suis offert une petite virée au cimetière Saint-Roch, le cimetière historique de Grenoble, autrement dit le Père Lachaise de Grenoble. Sous un soleil de plomb, dans un cimetière aux allures un peu abandonnées, j'ai presque eu l'impression de me promener au sein de la société grenobloise du XIXe siècle. Pour donner quelques noms glanés au fil de ma promenade :

L'alpiniste, libraire et bibliophile dauphinois, Félix Perrin (1853-1927)


Le pionnier des Alpes dauphinoises, grand chantre devant l'éternel des beautés de nos montagnes, Henri Ferrand (1853-1926).


Le prince des Bibliophiles dauphinois, Eugène Chaper (1827-1890)



L'inoubliable (sic) romancière et nouvelliste Louise Drevet (1835-1898) et son mari Xavier Drevet, fondateur du Dauphiné :


L'artiste Victor Cassien (1808-1893) :


Les ancêtres d'un célèbre bibliophile dauphinois blogeur :


Après ces épisodes historiques, une rapide revue des publications récentes que j'ai acquises lors des mes virées (moins funèbres) dans les librairies et lors de mon passage au salon du live de Montagne de Passy :

Une très intéressante étude historique sur les équipements touristiques du Lautaret par le directeur du Jardin Alpin du Lautaret, Serge Aubert : 150 ans de tourisme au col du Lautaret. dans la collection des Cahiers illustrés du Lautaret, 2013 – n° 4.



Etude très documentée et bien illustrée, par une personnalité sympathique que j'ai eu l'occasion de rencontrer dans son "fief" (le Jardin Alpin du Lautraret, bien sûr !).

Deux très beaux ouvrages de photographies sur les fermes du Val d'Arly (je sais, c'est la Savoie, et non le Dauphiné, mais j'ai aimé ces deux ouvrages d'un ami) :


L'ouvrage précédent, paru en 2000 :

Pour en savoir plus : cliquez-ici.

Une magistrale étude sur la Mer de Glace, qui me semble indispensable pour tous ceux qui s'intéressent aux glaciers et à leurs évolutions récentes, appliquées au plus célèbre d'entre eux : Mer de Glace, Art & Sciences.
 
Pour en savoir plus : cliquez-ici.

Pour revenir à des ouvrages moins récents :
 
Un exemplaire de l'annuaire du club alpin allemand et autrichien de 1903, avec un article bien illustré sur le massif des Ecrins (en allemand !).




Un ouvrage dont j'ai découvert très récemment l'existence : Cloud-Lands of France, par Amy Oakley, paru à New-York en 1927. Derrière ce titre, se cache la description d'un voyage touristique de Nice à Genève par les Alpes. Mais l'intérêt principal de l'ouvrage réside dans les gravures de Thornton Oakley, dans le style très daté de ces années-là. Pour ceux qui ne le sauraient pas, je garde un faible pour ce style graphique. Au passage, il est intéressant de noter que c'est par le plus grand des hasards que j'ai découvert l'existence de cet ouvrage sur e-bay. Visiblement, les amateurs français sont souvent peu ouverts à tous les ouvrages parus sur nos régions dans les différents pays du monde. Et pourtant, on y trouve des beaux livres, voire, pour l'histoire de l'exploration du massif des Ecrins, des sources indispensables. Français, encore un effort si vous voulez être internationaux, pour paraphraser un célèbre fou littéraire.

Avec la jaquette (détail important, pour les ouvrages anglo-saxons !) :


puis sans la jaquette :


Un exemple d'illustration :


Pour finir, une fois n'est pas coutume, une bande dessinée. Vient de paraître chez Glénat : Les Amants de l'Oisans. Gaspard de la Meije et les sources de l'alpinisme, sur un texte de Nelly Moriquand et des dessins de Fabien Lacaf. L'histoire, assez romanesque, se situe au moment de la conquête de la Meije en août 1877. Un puriste un peu taquin pourrait s'amuser à relever quelques inexactitudes (la route de la Bérarde en 1877 !), voire quelques approximations hasardeuses (les intérieurs des maison montagnardes trop beaux pour être vrais, le ski sur les pentes de la Meije par Henry Duhamel !), mais le graphisme est superbe, ce qui en fait un bel album.