mercredi 11 juillet 2018

Une nouvelle image ancienne de la Meije

La Meije, ce sommet pourtant si visible par les voyageurs de Grenoble à Briançon par la "petite route" du Lautaret, n'a fait l'objet que de quelques dizaines de représentations jusqu'à sa conquête en 1877. On doit à Paul Guillemin d'avoir, le premier, fait un inventaire de toutes les images de ce sommet. Jusqu'à l'année 1877 incluse, il n'en compte que 40, mais il faut enlever quelques attributions erronées et des représentations fort lointaines (la Meije vue du Chaberton, par exemple). Si on ne compte que celles qui donnent une image suffisamment proche et suffisamment réaliste, on arrive au chiffre de 29 représentations jusqu'en 1877 et, si on s'arrête à la période qui précède les premiers explorations du massif par les alpinistes, soit en 1860, on ne compte que 7 représentations de la Meije.

Cet inventaire qui date d'il y a plus de 120 ans n'a jamais été enrichi depuis, malgré les nombreuses recherches et les nombreux amoureux de la montagne qui se sont penchés sur son iconographie. C'est dire que la découverte d'une image ancienne de la Meije devrait être un événement. Pourtant, il semble que cette nouvelle image ancienne soit passée un peu inaperçue.


Alexis Muston (1801-1888) est un pasteur né dans les vallées vaudoises d'Italie, surtout connu comme historien du protestantisme. Il a été pasteur à Bourdeaux, dans la Drôme de 1836 jusqu'à son décès. Il a tenu un journal qu'il a illustré de dessins et d'aquarelles. Les Presses Universitaires de Grenoble viennent de publier les 25 premières années (1825-1850), avec une introduction et des notes de Patrick Cabanel et des reproductions d'une partie de ses dessins et de ses aquarelles. C'est un document majeur sur l'histoire du protestantisme dans les Alpes françaises et italiennes, mais, et c'est ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est l'occasion de découvrir un artiste avec un bon coup de crayon ou de pinceau, qui n'a pas hésité à représenter les paysages qu'il croisait. Pour ce qui concerne les montagnes, cela nous vaut des vues du Cervin, de la Jungfrau, du Finsteraarhorn et, donc, de la Meije.

De quand date cette vue de la Meije ? L'aquarelle n'est pas datée. Il faut se reporter au texte du journal pour identifier les passages d'Alexis Muston à La Grave. J'en ai trouvé trois (l'absence de table ne facilite pas la recherche).

La première fois, en juin 1835, il part du Qyeyras en direction de Briançon, puis de Grenoble, par le Lautaret  (p. 236) :
La route pour Grenoble n'était encore qu’incomplètement ouverte, sur Le Bourg-d'Oisans. La Grave ne se trouvait abordable que par d'étroits chemins. Je les suivis à pied. Le glacier qui s'étale en face de ce village est vraiment assez beau. Plus bas, une cascade, nommée je crois la cascade des Fross [Fréaux], est aussi à saluer en passant.
La notation sur la Meije est certes sommaire, mais il a su la voir et, peut-être à ce moment-là, l'a-t-il dessinée. Notons que la représentation est assez fidèle, ce qui n'est pas toujours le cas des illustrations contemporaines (voir ci-dessous).

Il repasse à La Grave au retour quelques semaines plus tard. Ce voyage par le col du Lautaret nous vaut cette belle évocation, même si, cette fois, aucune mention n'est faite de La Grave et de ses "glaciers" (pp. 255-256) :
J'étais au Bourg [d'Oisans] à deux heures du matin et sans même entrer à l'hôtel je repartis à pied. La lune brillait dans toute sa splendeur; les grandes montagnes de l'Oisans où se trouve l'oisanite (qui est je crois de l'amphibole en masse) se découpaient sur un ciel pur, en teintes vigoureuses, foncées, et cependant fondues, vaporeuses, aériennes. Aux Risoires [La Rivoire] les premières clartés de l'aurore commencèrent de s'unir sur les hautes cimes à celles de la lune, qui seules brillaient dans le fond de la vallée. La Romanche élevait dans l'air ses fraîches et profondes rumeurs. Le ciel s'éclaircissait; un calme poétique, une sérénité vivifiante, lumineuse semblaient pénétrer la nature. La lune à travers les sapins, qui lui passaient devant par l'effet de la marche, des sommets de glaciers entrevus ça et là, de pâles buées lointaines sur les gazons, enfin les premiers rayons du soleil sur les montagnes, firent de cette matinée un tableau incessamment changeant et merveilleux. — je déjeunai à Villar-d'Arène ; et deux heures après j'arrivais au Lauzet.
L'autre mention d'un passage dans la région est en juillet ou août 1844 (pp. 455-456).

C'est donc soit en 1834, soit en 1844 qu'il a peint cette aquarelle de la Meije, ce qui en fait une des plus anciennes représentations, qui est contemporaine de la lithographie de Victor Cassien qui illustre l'Album du Dauphiné. ou de la gravure de L. Haghe, d'après le dessin de Lord Monson, autre voyageur protestant.

Les 7 représentations connues de la Meije entre 1834 et 1860 :

Léonce Elie de Beaumont, Faits pour servir à l'histoire des montagnes de l'Oisans, 1834, dessin de François-Benjamin Dausse :


Album du Dauphiné, 1837, lithographie d'après un dessin de Victor Cassien :



Lord Monson, Views in the départment of the Isère and the High Alps, 1840



Baron Taylor, Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France. Dauphiné, 1854, dessins de L. Sabatier :



Dr Roussillon, Guide du voyageur dans l'Oisans, 1854 (reproduction assez médiocre de la lithographie de Victor Cassien) :


Poésies en patois du Dauphiné. Grenoblo malhérou, 1860, gravure d'après un dessin de Diodore Rahoult :