dimanche 31 janvier 2010

Le père Para du Phanjas (1724-1797)

Le père Para du Phanjas est un jésuite du XVIIIe qui a laissé une œuvre abondante tant de la domaine de la philosophie que dans celui des mathématiques et de la physique.


François Para est né à Chabottes (Hautes-Alpes), au hameau du Fangeas, le 15 février 1724, fils de François Para, marchand, cultivateur et châtelain de Chabottes et de Catherine Faure. Dès la publication de son premier ouvrage, en 1767, il prit le nom de Para du Phanjas, nom sous lequel il est passé à la postérité. On voit bien que la forme "Phanjas" permet de faire oublier l'étymologie transparente de "Fangeas", qui sentait trop son terroir. Pour ne pas en rester là, depuis que Michaud a rapporté dans sa
Biographie universelle qu'il était né au château du Phanjas, cela a été repris par tous les dictionnaires biographiques. En réalité, sa maison natale n'est qu'une grosse ferme, située au-dessus de Chabottes. Voilà comment on écrit l'histoire ! Quant au titre de châtelain de son père, il ne doit pas induire en erreur. Le châtelain était le représentant local du seigneur dans la communauté. C'est un preuve de notabilité et non de noblesse.

Acte de baptême de François Para, dit le père Para du Phanjas

Elève au collège des jésuites d'Embrun, il est reçu novice dans la compagnie de Jésus le 16 septembre 1742. Il est ensuite professeur de philosophie à Embrun, Marseille, Grenoble et Besançon. Il fonde dans cette ville un cours de philosophie. Après la suppression de l'ordre, en 1764, il se fixe à la maison de la Madeleine à Paris. Il fréquente le cercle de Madame Adélaïde, la tante du roi. Il meurt à Paris le 7 août 1797

Il laisse une œuvre extrêmement importante. Parcourons quelques une de ses productions à travers quelques ouvrages de ma bibliothèque.

Son premier ouvrage est un traité de philosophie, publié à Besançon en 1767 :
Eléments de métaphysique sacrée et profane ou Théorie des êtres insensibles.


Selon F. Allemand, "le philosophe eut toujours pour cette première œuvre une préférence marquée sur toutes ses autres. Il ne cessa toute sa vie de la revoir, de la développer, de l'améliorer". C'est ainsi que ce livre a fait l'objet d'une deuxième édition revue et augmentée, au titre inversé :
Théorie des êtres insensibles ou cours complet de métaphysique sacrée et profane mise à la portée de tout le monde, Paris, Cellot Jombert, 1779, 3 volumes, in-8°. C'est d'ailleurs dans ce dernier que se trouvent les pages sur ses premières années, où il évoque son pays natal et ses parents (voir à la fin du message). L'abbé Para aurait prédit la Révolution dans cet ouvrage.

Il en existe une édition chez Jombert, à Paris, à la même date de 1767, qui n'est probablement qu'un rhabillage, avec un nouveau titre, de l'édition originale de Besançon.



En 1763, il fait aussi paraître son cours au collège de Besançon :
Principes de calcul et de la géométrie, ou éléments de mathématiques. Une 3e édition a paru en 1783 chez Jombert, à Paris : Principes du calcul et de la géométrie ou Cours complet de mathématiques élémentaires, mises à la portée de tout le monde.Troisième édition, augmentée et perfectionnée.


En 1772, étendant son champ d'action, il s'intéresse à la physique. Il fait alors paraître, toujours chez Jombert à Paris, un ouvrage en 4 volumes :
Théorie des êtres sensibles ou Cours complet de physique spéculative, expérimentale, systématique et géométrique, mise à la portée de tout le monde. Quelques années plus tard, en 1786, il en donne une nouvelle édition, complétée d'un 5e volume : Théorie des nouvelles découvertes en genre de Physique et de Chymie, pour servir de supplément à la Théorie des Etres Sensibles, ou au cours complet & au cours élémentaire de physique.




Ces derniers ouvrages contiennent tous des planches. Un exemple, qui rappellera un bon souvenir à tous ceux qui ont "séché" sur la géométrie à l'école :



Parmi les autres titres de sa bibliographie, on peut citer ces autres ouvrages, témoignage de la diversité de ses talents et intérêts :
-
Les principes de la saine philosophie conciliés avec ceux de la religion, ou La philosophie de la religion, par l'auteur de la "Théorie des êtres sensibles", Paris, Jombert, 1774.
-
Tableau historique et philosophique de la religion depuis l'origine des temps et des choses jusqu'à nos jours, par l'auteur de la "Théorie des êtres sensibles", PAris, Cellot, 1784.
Tous ses ouvrages ont fait l'objet de nombreuses éditions qu'il est parfois difficile d'identifier. Il existe une bibliographie relativement complète dans la
Bibliothèque des écrivains de la Compagnie de Jésus, par Augustin et Aloïs De Backer, Liège, 1859 (tome V, pp. 568-570)

J'ai gardé ce dernier titre pour la fin, preuve que ce grave personnage n'hésitait pas à taquiner la muse pour se délasser :
Odes, chants lyriques et autres bagatelles fugitives, par l'auteur de la T.D.E.S, Paris, Jombert, 1774.

C'est un de mes rêves de bibliophile de trouver ce petit ouvrage dans une belle condition.

Issu d'une famille de cultivateur aisé des Hautes-Alpes, il est l'exemple même de l'ascension sociale que permettait la carrière ecclésiastique. Loin de l'image misérabiliste d'une paysannerie pauvre et illettrée, l'histoire personnelle du père Para est la preuve qu'avant le Révolution, les campagne françaises abritaient une paysannerie aisée et notable, qui arrivait à pousser ses enfants vers des carrières prestigieuses. Un destin assez similaire est celui de Marmontel, qui venait d'un milieu comparable, peut-être un peu plus modeste, à qui une carrière ecclésiastique, certes abandonnée, permit de se constituer le bagage culturel qui lui ouvrit les portes de la littérature et de la renommée. Au passage, je conseille la lecture de ses mémoires. L'image qu'il donne de ses parents est comme un écho au texte que je reproduis ci-dessous.

Mon intérêt pour le père Para du Phanjas est double. C'est d'abord parce qu'il s'agit d'une des rares illustrations haut-alpines, qui ait laissé son nom dans la production littéraire, au sens large, du XVIIIe. Ensuite, je l'ai croisé dans mes recherches généalogiques sur ma famille maternelle. En effet, je descends d'une sœur du père Para, Madeleine Para, épouse de Dominique Gauthier. Dans la même descendance, on trouve aussi la famille Gauthier-Villars et son plus célèbre rejeton, Henry Gauther-Villars, dit Willy.

Pour finir, ces quelques mots du père Para sur son pays natal et ses parents dans la préface de la
Théorie des êtres insensibles, édition de 1779.

« Champêtre vallon qu'arrose et divise le Drac, à peine échappé de ses sources montueuses et déjà impétueux et incoercible, riantes prairies de Chabottes et de la Plaine, délicieux coteau du Fanjas, lieux charmants où mes yeux se sont ouverts pour la première fois à la lumière.

« Là s'est formée paisiblement ma tendre enfance, sous les yeux d'une mère chérie qui n'est plus depuis longtemps, mais qui fut toujours le modèle des épouses et des mères, un rare exemple de toutes les vertus sociales et chrétiennes, le cœur le plus sensible et le plus bienfaisant pour les pauvres et les malheureux ; sous les yeux d'un père également chéri, que l'implacable mort vient d'enlever récemment à l'affection de sa famille désolée, et qui fut toujours le tendre ami de ses enfants, les délices de tous ses amis, la lumière et le conseil de ses voisins et de ses compatriotes, et souvent même leur arbitre et leur juge par la seule autorité que donne la réputation d'intelligence, jointe à celle de droiture et de probité.

« Chère patrie, terre natale, ton image est toujours empreinte dans mon esprit ; ton souvenir intéresse toujours mon cœur. L'espoir de te revoir un jour offre à mon âme attendrie une perspective toujours riante, toujours délicieuse. »

Deux vues de Chabottes glanées sur le Net :


Sur cette dernière photo, on distingue le Fangeas :


dimanche 24 janvier 2010

"La Flore littéraire du Dauphiné. La Poésie", de Léon Côte et Paul Berthet

Léon Côte et Paul Berthet, deux érudits dauphinois, se sont engagés dans un travail de bénédictins : constituer une anthologie de la littérature dauphinoise. Seul le premier volume, en 3 tomes, est paru en 1911. Il traite de la poésie, sous forme d'une anthologie des poètes dauphinois et des poèmes sur le Dauphiné.

La flore littéraire du Dauphiné. La Poésie.(Anthologie et Bio-Bibliographie) (pour une description plus complète, cliquez-ici).



L'ouvrage est divisé en 3 parties, qui forment 3 tomes :
- Tome I :
Poésies relatives au Dauphiné. Il s'agit d'une anthologie des poèmes sur le Dauphiné, classée par grand thème.
- Tome II :
Poètes dauphinois. Anthologie par poète, classé par grand type de poète : troubadours, félibres, poètes patois, poètes latins, poètes descriptifs, poètes de l'histoire, de l'amour, poètes moraux, religieux, satiriques, badins, fabulistes, etc.
- Tome III :
Dictionnaire bio-bibliographique des poètes dauphinois. Il contient de l'ordre d'un millier d'entrées.

Comme ils l'annoncent dans l'introduction, les auteurs voulaient couvrir tous les genres littéraires. Leur plan initial était un ouvrage en 5 volumes :
I.
La Poésie.
II.
Le Drame.
III.
Romans et Variétés.
IV.
Eloquence politique.
V.
Eloquence du barreau, éloquence de la chaire. - Additions.

Seul le premier volume a paru.

Premier constat, le Dauphiné n'est pas la patrie des poètes. Parmi le petit millier de poètes cités, aucun n'a eu de renommée nationale. Beaucoup sont oubliés. Quelques un peut-être sont encore connus des spécialistes, comme Gentil-Bernard ou Pierre Cornu. D'ailleurs, cela est aussi vrai pour la littérature en général, puisque seul Stendhal émerge. Faut-il en conclure que les Dauphinoise sont peu enclins à l'expression artistique ?

Ensuite, il est toujours intéressant de se demander si la démarche de nos auteurs est pertinente, dans la mesure où le Dauphiné est tellement divers que parler d'une poésie dauphinoise n'a probablement pas beaucoup de sens. Je rappelle que le Dauphiné est formé des trois département de l'Isère, la Drôme et les Hautes-Alpes, ce qui ne correspond à aucune unité géographique, ni culturelle, ni dialectale. Néanmoins, tout au long du XIXe siècle et la première moitié du XXe, les érudits ont cultivé une hypothétique identité dauphinoise, qui leur semblait peut-être d'autant plus nécessaire que le Dauphiné, en tant qu'entité politique, avait disparu à la Révolution. Aujourd'hui, je crois que le Dauphiné ne représente plus rien. Il est d'ailleurs fréquemment confondu avec l'Isère. Ce n'est probablement pas un hasard si les Hautes-Alpes ont été rattachées à Provence-Alpes-Côte d'Azur et si le sud de la Drôme s'appelle la Drôme provençale. Au delà de l'accroche publicitaire, c'est aussi le signe qu'il n'y a pas d'unité "naturelle", qui ferait que l'on associerait spontanément la Drôme au Dauphiné.

Tout l'intérêt de cet ouvrage est de fournir des petites biographiques bien documentées sur une foule de personnages secondaires de l'histoire littéraire de la région, que l'on ne retrouve pas dans les biographies nationales, ni même dans la
Biographie du Dauphiné, d'Adolphe Rochas. Qui pourrait aujourd'hui nous renseigner sur Charles-Constant Laubiès, né le 18 février 1871 à Grenoble, chef-adjoint du cabinet du préfet, marié à l'artiste bien connue, Mme Laubiès-Jambon et auteur de l'immortel ouvrage Sous les Nids, (vers à mettre en musique) , publié à Grenoble chez Baratier et Dadelet ?

Pour le
XVIIe siècle, la connaissance de la société littéraire dauphinoise est éclairée par la publication par Humbert de Terrebasse d'un recueil de poésies du XVIIe siècle formé par Aymar de Blanc de Blanville et Marie Prunier, sa seconde épouse, à la Côte-Saint-André, entre 1620 et 1670. Cette publication, enrichie de nombreuses notes, a paru chez L. Brun à Lyon en 1896 sous le titre : Poésies dauphinoises du XVIIme siècle (pour une description plus complète, cliquez-ici).


C'est une belle édition érudite comme je les aime. Elle nous fait pénétrer dans une société élégante où tout passait et finissait par des vers. C'est un peu le monde des Précieuses ridicules, mais en version provinciale.
La foule de renseignements que contient cet ouvrage a d'ailleurs été largement utilisée par Léon Côte et Paul Berthet.

dimanche 17 janvier 2010

"Mémoire sur une fièvre putride soporeuse", des docteurs Cabanne et Villars

Je poursuis ma quête d'ouvrages de Dominique Villars, médecin et botaniste haut-alpin (Le Noyer 1745 - Strasbourg 1814). Ma dernière acquisition est une petite plaquette écrite avec le chirurgien en chef de l'hôpital militaire de Grenoble, le docteur Cabanne :Mémoire sur une fièvre putride soporeuse, Qui a régné à l'Hôpital Militaire de Grenoble, depuis le 10 Ventôse, jusqu'au 10 Germinal suivant; Rédigé par les Officiers de santé de l'Hôpital., publié à Grenoble en l'an V (1797) (pour plus d'informations, cliquez ici)



C'est une étude sur une fièvre qui a touché les militaires de la 158e demi-brigade, arrivés à Grenoble le 10 ventôse an V (28 février 1797) en accompagnant des prisonniers autrichiens. La fièvre a duré jusqu'au 10 germinal an V (30 mars 1797). Elle a touché à peu près 150 soldats, sans compter les malades parmi les prisonniers autrichiens. Ceux-ci venaient d'Italie, capturés lors des guerres d'Italie conduites par Bonaparte. Ce sont eux qui amenèrent la fièvre, qu'ils transmirent aux soldats qui les conduisaient.

La démarche adoptée dans cet ouvrage se rapproche d'une des premières études de Villars :
-
Observations de médecine sur une fievre épidémique qui a régné dans le Champsaur & le Valgaudemar en Dauphiné, pendant les années 1779 & 1780, (cliquez ici), ouvrage qui allie l'observation clinique, la description des traitements et la réflexion théorique sur la maladie. Dans le même esprit, on peut aussi citer ces deux ouvrages contemporains :
-
Histoire des maladies épidémiques qui ont régné dans la Province de Dauphiné, depuis l'année 1775, du docteur Nicolas. (cliquez ici)
-
Epidémie observée [Maladie épidémique observée au Bourg-d'Oysans & à la Grave], par M. Clappier, Grenoble, 1768. (cliquez ici)



La lecture de cette petite plaquette m'a amené 3 réflexions.

La première est plus un clin d'œil par rapport à l'actualité du moment. En effet, les docteurs Cabanne et Villars débutent l'ouvrage par un plaidoyer pro-domo en faveur de l'action des officiers de santé de l'hôpital militaire dans le traitement de cette fièvre, action qui a été critiquée, provoquant une "alarme" parmi la population qui a nécessité l'intervention de l'administration publique. Fustigeant "ces hommes, au moins imprudents, peut-être coupables, qui ont colporté la terreur & abusé de la confiance", ils se défendent devant le public : "Il [le public] pourrait nous dire peut-être : Que faisiez-vous, officiers de santé, au lieu de vous préparer, de vous attirer l'opinion publique ? Nous ne sommes point faits pour mendier la confiance, nous tâchons de la mériter & de la conserver : nous ne sommes pas de vils charlatans pour chercher à éblouir, mais nous avons mieux fait, nous avons agi." Certaine ministre de la Santé n'aurait pas mieux dit à propos de la grippe A.

La deuxième est partie de ce sobre constat des auteurs : "Il en mourut 200 pendant les vingt derniers jours de ventôse, sur 1200 malades vus à l'hôpital ou à la citadelle. Mortalité trop considérable sans doute, mais qui se conçoit d'après l'exposé déjà fait, puisqu'elle ne se porte qu'à un sixième, tandis qu'il meurt un cinquième des malades dans les grands hôpitaux de Lyon, de Paris,&c."

A notre époque de catastrophes humanitaires et d'épidémies, ce fatalisme sur un taux de mortalité considéré comme acceptable, alors que cela serait inacceptable selon nos critères modernes, montre qu'en 200 ans, le prix de la vie humaine a augmenté, quoiqu'on en dise. Le docteur Villars était plutôt un esprit humaniste, dénué de tout cynisme. Et pourtant, cette mortalité n'avait pas l'air de l'émouvoir outre mesure.

La troisième réflexion est probablement due à mon manque de connaissance sur la littérature médicale de la fin du XVIIIe. A la lecture de ce mémoire, comme des autres ouvrages que j'ai cités, j'ai le sentiment que la description des symptômes manquait totalement d'une méthodologie claire. Au lieu de chercher les symptômes communs à tous les malades, ils semblaient se disperser en notant de nombreux faits qui n'étaient probablement pas directement liés à la maladie principale. Ils étaient d'ailleurs extrêmement préoccupés par l'état des urines et des selles. En définitive, le lecture de ces documents ne me semblent pas permettre de faire avancer la connaissance des maladies. Mais, je répète, je ne connais absolument pas cette littérature. Peut-être que tous ces mémoires ont permis, peu à peu, de construire la science médicale et de faire progresser la description et la classification des maladies.

dimanche 10 janvier 2010

Notes de lecture et considérations diverses

On me demande parfois comment je trouve la volonté de tenir ce blog toutes les semaines et de maintenir un site, et ce depuis presque 5 ans. J'ai trouvé la réponse dans un livre savoureux du romancier japonais Haruki Murakami, grand adepte de la course à pieds : Autoportrait de l'auteur en coureur de fond :

"Lorsque je dis aux gens que je cours chaque jour, ils sont admiratifs. "Vous avez sûrement beaucoup de volonté !" remarquent-ils parfois. Bien sûr, ce n'est pas désagréable d'être loué de la sorte. Beaucoup plus agréable que d'être dénigré. Mais je ne pense pas que la simple volonté vous rende capable de faire quelque chose. Le monde n'est pas aussi simple. À vrai dire, je ne suis même pas sûr qu'il y ait une corrélation entre mon entraînement quotidien et le fait d'avoir ou non de la volonté. Je crois que j'ai pu courir depuis plus de vingt ans pour une raison simple : cela me convient. Ou du moins, je ne trouve pas cela pénible. Les êtres humains continuent naturellement à faire ce qu'ils aiment et cessent ce qu'ils n'aiment pas." (p. 49)

C'est dit simplement et justement.

Autre lecture récente, qui nous a été recommandée dans le dernier numéro de la Nouvelle Revue des Livres Anciens :
N'espérez pas vous débarrasser des livres, de Jean-Claude Carrière et Umberto Eco.


Je recommande aussi cette lecture. Il ne faut pas se laisser dérouter par l'aspect assez désordonné de l'ouvrage. C'est au contraire son charme et chacun peut découvrir des petites pépites dans cet échange. Pour ma part, j'en ai trouvé trois que je vous livre, toutes de Jean-Claude Carrière, peut-être parce que je me reconnais mieux dans son approche du livre.

La première est une remarque, là-aussi d'une grande simplicité, qui dit exactement ce que l'on peut ressentir lorsqu'on aime les livres et ce qu'ils nous apportent :

"Je reviens à nos bibliothèques. Peut-être avez-vous fait une expérience semblable. Très souvent, il m'arrive de me rendre dans une pièce où j'ai des livres et de simplement les regarder, sans en toucher un. Je reçois quelque chose que je ne saurais dire. C'est intriguant et en même temps rassurant." (p. 309)

Cela peut paraître curieux à certains, voire incompréhensibles. Cela n'est peut-être pas uniquement l'apanage des bibliophiles. L'amateur de maquettes automobiles ou de bonzaïs ressent peut-être la même chose ? Il y a tout de même la différence qu'au delà du livre comme objet, il y a toujours le savoir qu'il contient, les émotions qu'ils apportent, en un mot la lecture.

Le deuxième passage est une expérience que j'ai moi aussi connue :

"Il m'est arrivé d 'accompagner mon ami Gérard Oberlé, libraire bien connu et excellent écrivain, chez des bouquinistes. Il entre dans une boutique et regarde très lentement les rayons, en silence. A un moment donné, il se dirige vers LE livre qui l'attendait. C'est le seul qu'il touche et le seul qu'il prend." (p. 157)

Dans mon cas, cela n'a peut-être pas un côté aussi théâtral, mais j'ai déjà vécu des situations similaires où, devant des murs de livres, un 6e sens me conduit vers LE livre que je cherchais ou qui m'attendais...

Comme je l'avais raconté dans mon portrait sur le blog du bibliophile (cliquez ici), c'est un instinct comme celui-là qui m'avait permis de dénicher un petit ouvrage rarissime : Ephémérides des Hautes-Alpes, de l'abbé Gaillaud, la première édition de 1864, dans une reliure en plein maroquin de Gruel, aux armes du marquis de la Mazelière. Une telle trouvaille est inespérée.


Le troisième extrait m'a ramené à des réflexions que je me suis fait sur le concept d'un savoir populaire dans nos Alpes, que l'on pourrait atteindre par delà le savoir savant.

"J'ai une histoire qui apparemment n'a rien à voir avec notre sujet, mais qui nous
dit quelque chose sur le pouvoir des livres. C'est en allant au Mali qu'il m'a été donné de découvrir le pays des Dogons, dont la cosmologie avait été décrite par Marcel Griaule dans son célèbre
Dieu d'eau. Or les persifleurs disent que Griaule avait beaucoup inventé. Mais si vous allez maintenant interroger un vieux Dogon sur sa religion, il vous raconte exactement ce que Griaule a écrit - c'est-à direque ce que Griaule a écrit est devenu la mémoire
historique des Dogons..." (p. 130)

Dans ce très bon livre :
Plantes et gens des Hauts. Usage et raison de la flore populaire médicinale haut-alpine, Les cahiers de Salagon, n° 9, 2004, Denise Delcour brosse un panorama très complet de l'usage des plantes médicinales dans les vallées briançonnaises.


Elle défend l'idée d'un savoir populaire, de transmissions ancestrales, par les "anciens", qu'elle oppose au savoir scientifique et savant. J'avoue ne pas la suivre dans cette voie et l'on comprend que la remarque de Jean-Claude Carrière m'y ait fait penser. Depuis fort longtemps, les botanistes complétaient leurs descriptions de la flore par un recensement de leurs propriétés médicinales. Dans les Hautes-Alpes, le meilleur exemple est Dominique Villars dans son Histoire des plantes de Dauphiné, 1786-1789.


Autre exemple plus récent, ce petit ouvrage de vulgarisation, du Dr Offner et de Joseph Pons, pharmacien à Briançon :
Les plantes médicinales et aromatiques des Alpes françaises, Gap, Louis Jean, 1931.


Tout ce savoir a dû peu à peu pénétrer au-delà du cercle des savants, parmi les populations peu cultivées, dites "populaires", mais qui étaient en contact avec les passeurs traditionnels du savoir qu'était d'abord le curé, puis l'instituteur. J'ai toujours pensé que l'existence d'une connaissance populaire dans les vallées des Alpes était un mythe, entretenu par ceux-là même qui, cultivés, souvent universitaires, ont la nostalgie d'un monde que les savants n'auraient pas "pollué". Par ailleurs, c'est ignorer la grande ouverture de ces vallées aux influences extérieures. Non, ces vallées n'étaient pas seulement peuplés de paysans, attachés à la glèbe, dont l'horizon se bornait au clocher de leur village !

dimanche 3 janvier 2010

Vœux 2010 et bilans

Pour vous présenter mes vœux pour cette année, je reprends cette gravure de Jean Chièze qui me semble le meilleur résumé, comme l'emblème, de ma bibliothèque. On y reconnaît le blason du Dauphiné, complété de la Meije, sommet mythique du massif des Ecrins.

Je vous souhaite donc une bonne et heureuse année. Pour mes lecteurs bibliophiles, qu'elle soit riche en découvertes, pour les lecteurs dauphinois, que votre connaissance et votre amour de votre coin de terre s'enrichissent encore, pour les amoureux de la montagne, que cette année vous apporte encore et toujours ces joies incomparables que seule la montagne peut donner.

La fin de l'année est toujours celle des bilans. Je voulais faire une sélection des 5 livres que je considère comme mes acquisitions les plus attachantes de l'année 2009. En définitive, je n'y suis pas arrivé. Je me suis arrêté à 14 livres.

D'abord, il y a ces livres qui sont des témoignages sur l'histoire du Dauphiné. Ces 3 livres rythment quelques unes des grandes étapes de l'intégration du Dauphiné au Royaume de France, depuis le transport de la Province en 1349. Ces étapes sont toutes des jalons dans la perte des libertés provinciales.

Le premier livre est l'édition de 1619 du
Statuta Delphinalia, de la bibliothèque Prunier de Saint-André (info sur ce blog : ici et sur mon site : ici).


Le deuxième est une édition de 1689 de l'ordonnance d'Abbeville. Le bibliophile qui l'a fait relier au XIXe siècle, a eu le soin de conserve le beau papier des couvertures d'attente (info sur ce blog : ici et sur mon site : ici).



Le troisième est un très bel exemplaire du
Plaidoyez pour le Tiers Estat, par Antoine Rambaud, de 1600, relié dans un beau vélin doré et entièrement réglé (info sur ce blog : ici et sur mon site : ici). C'est le plus ancien livre de ma bibliothèque.




Les deux petits ouvrages suivants sont aussi des témoins de l'histoire du Dauphiné. Je les ai achetés plus pour l'ancienneté de l'édition et la reliure. Ce sont tous les deux des éditions de Jean Nicolas, célèbre dynastie de libraires grenoblois, active de 1608 à 1681, dont j'ai déjà parlé sur ce blog (voir ici) :
Histoire du Chevalier Bayard, de 1650 et Les Vies de François de Beaumont, baron des Adrets, de Charles Dupuy, seigneur de Montbrun et de Soffrey de Calignon, chancelier de Navarre, de Guy Allard, de 1675. Seul le premier a été décrit (info sur ce blog : ici et sur mon site : ici).



Pour faire la transition, un recueil d'eaux-fortes sur le Dauphiné, publié en 1860, absent de toutes les bibliothèques et les bibliographies :
Souvenirs du Dauphiné, de J. Mollard.



Pourquoi la transition ? Parce que cette dernière eau-forte nous fait passer au thème de la montagne, qui est représenté cette année par un grand classique de la littérature alpestre, ouvrage fondateur de la découverte des Alpes :
Escalades dans les Alpes de 1860 à 1869, d'Edouard Whymper, édition originale de la traduction française par Adolphe Joanne en 1873.


A défaut de trouver la très rare édition originale anglaise, je me suis "contenté" de la 5e édition :
Scrambles amongst the Alps in the years 1860-69, d'Edward Whymper, 1900


Je n'ai pas décrit ces deux ouvrages, mais j'ai eu l'occasion d'en parler à propos de la pré-publication dans
Le Tour du Monde, 1872, de quelques pages de la traduction (info sur ce blog : ici, sur mon site : ici et sur Edward Whymper : ici).


Autre "incunable" de la littérature alpine, les deux rares volumes de
Peaks, Passes and glaciers, publiés par l'Alpine Club en 1862. Peut-être pas "incunable" pour la découverte des Alpes, mais sûrement "incunable" pour l'exploration du Haut-Dauphiné, dont le Massif des Ecrins. Ils contiennent en particulier le récit de la première ascension du Mont-Viso en 1861 et une des premières représentations de la Barre des Ecrins.

Enfin, cette plaquette de Paul Helbronner, sur une ascension de la Meije (3987 m), avec un beau panorama photographique dépliant de plus de 2 m de long ! (info sur ce blog : ici et sur mon site : ici).


Avant de conclure, deux ouvrages :

Un compte-rendu en 2 volumes du
Congrès de la Houille blanche. Septembre 1902, avec un beau portrait d'Aristide Bergès par Alfons Mucha (info sur ce blog : ici).



Un roman pour enfant de Jules Taulier
Les deux petites Robinsons de la Grande-Chartreuse, un bel exemplaire sur papier de chine qui met particulièrement en valeur les gravures d'Emile Bayard (info sur ce blog : ici et sur mon site : ici).





Pour finir, j'ai complété ma bibliothèque consacrée à Dominique Villars (botaniste haut-alpin 1745-1814, qui m'intéresse particulièrement) :

Son premier ouvrage publié, le
Flora Delphinalis, de 1785, de la bibliothèque d'Eugène Chaper, puis de la 6e vente Berès. La persévérance étant une qualité de bibliophile, je suivais à la trace cet exemplaire depuis la vente Berès de décembre 2007 (info sur ce blog : ici et sur mon site : ici).


Enfin, probablement ma plus belle acquisition de l'année, belle non par la qualité matérielle de l'exemplaire, mais par son unicité. C'est l'exemplaire personnel de la
Bibliothèque du Dauphiné, de Dominique Villars, qu'il a complété de nombreuses notices biographiques de botanistes dauphinois et, plus émouvant, d'une autobiographie où perce son amertume de ne pas avoir été reconnu par ses compatriotes.



Cet exemplaire cache ces trésors sous des dehors très modestes (info sur ce blog : ici et sur mon site : ici).



Ce cheminement parmi mes acquisitions de l'année trace le portrait de ma bibliothèque en cours de constitution. Pour ceux qui veulent suivre cette voie, je ne peux que conseiller la persévérance, la chance qui, comme chacun sait, se décrète, la patience et surtout l'amour des livres.

Autres bilans de ce début d'année, ceux de ce blog et du site associé :
Bibliothèque-Dauphinoise.

Pour le blog, la fréquentation a continué à augmenter fortement. En 2009, j'ai frôlé les 5000 visites, à 4 993. C'est une augmentation notable par rapport à 2008, avec 1496 visites, sans parler des modestes 76 visites de 2007. La fréquentation a surtout augmenté à la fin de l'année. Jusqu'en août, la moyenne était de l'ordre de 300/350 visites par mois. En décembre, j'ai atteint 738 visites. Les moteurs de recherches (pour ne pas dire LE moteur de recherche) m'amènent 50 % des visites. Le reste se partage entre les visites directes (32 %) et celles en provenance d'autres sites (23 %), avec une mention particulière pour Le bibliomane-moderne, qui m'amène un flux continu et régulier de visite, mais aussi le Blog du Bibliophile et BiblioMab. J'en profite pour saluer le travail de ces trois blogs, chacun avec son style et ses centres d'intérêts.
Le sujet ne prêtant guère à l'internationalisation, 93 % des visites viennent d'Europe et 85 % de France.

Autant que je puisse en juger, les messages qui ont été particulièrement appréciés sont : Dominique Villars, colporteur libraire, qui a eu le plus de commentaires et Un velin doré sur un ouvrage de 1600 ..., probablement auprès des bibliophiles qui ont été sensibles à la beauté de l'exemplaire.

Afin que nul ne l'oublie, ce blog a été créé pour être le pendant plus vivant et plus interactif du site Bibliothèque-Dauphinoise.

L'activité a encore été soutenue en 2009 car j'ai décrit 57 ouvrages (contre 52 en 2008), soit un total de 237 ouvrages depuis la création du site. Par conséquent, la fréquentation continue à progresser, pour représenter 27 442 visites (2008 : 20 784). J'ai eu une pointe en novembre à 2708 visites dans le mois. Le site, comme le blog, n'est pas très international, la France assurant 79 % des visites. Il y a tout de même eu des visites depuis 112 pays du monde.

Les recherches les plus fréquentes pour arriver jusqu'à mon site sont celles qui portent sur les ex-libris, l'histoire du Dauphiné, la topographie, les nobiliaires du Dauphiné et l'histoire des familles, le patois du Dauphiné (sujet qui intéresse visiblement beaucoup), mais aussi les requêtes sur des personnes comme Champollion, Guy Allard, Ulysse Chevalier, Diodore Rahoult, etc. Parmi les sujets nouveaux que j'ai traités cette année, il y a beaucoup de recherches sur les torrents de montagne et sur les Vaudois.

La page la plus vue de mon site est toujours celle consacrée à l'ouvrage :
Lettres à Lucie sur le canton de Mens, du pasteur André Blanc, publié en 1844. Ce succès inattendu est dû, comme je l'ai déjà expliqué, au très bon positionnement de l'illustration de la lettre manuscrite qui truffe cet exemplaire. C'est inimaginable le nombre de gens qui cherche une image de lettre manuscrite !

Après les quelques pages générales (Accueil, liste des Ouvrages, liste des personnes, etc), les 15 pages les plus vues sont :
  • Les ex-libris dauphinois.
  • Les images anciennes de la Meije.
  • La carte du Haut-Dauphiné, de Bourcet.
  • L'armorial du Dauphiné.
  • La page thématique sur l'histoire du Dauphiné.
  • Les images anciennes des Ecrins.
  • Les chansons des Alpes Françaises, de J. Tiersot (un nouveau venu dans le palmarès).
  • L'Album du Dauphiné.
  • La plaquette sur le voyage de Colaud de la Salcette en Oisans en 1784.
  • Zizimi, de Guy Allard.
  • La page thématique sur la topographie du Haut-Dauphiné et l'exploration du Massif des Ecrins.
  • La page thématique sur François de Bonne, duc de Lesdiguières (une création de cette année).
  • La page où je me présente.
  • L'album historique du Dauphiné.
  • Souffles d'en-haut, de Roux-Parassac.
Comme l'année dernière, on retrouve quelques pages nouvelles de l'année. Lorsque le sujet rejoint une préoccupation des lecteurs, elles trouvent très vite leur public.

Les 355 pages de mon site ont toutes été visités au moins une fois.

Mais, au delà de ces chiffres, le meilleur encouragement est les nombreux mails que je reçois, dont certains ont conduit à des échanges intéressants. Si certains de mes interlocuteurs lisent ce blog, qu'ils en soient remerciés. Cette année, je remercie particulièrement la Société d'Etudes des Hautes-Alpes, à laquelle j'appartiens, qui a mis un lien sur leur site : seha

En 2010, je vais poursuivre mon travail, en espérant pouvoir continuer à susciter l'intérêt de nombreux amoureux des livres, du Dauphiné, des Alpes et de leur histoire.