dimanche 27 septembre 2009

Dominique Villars, colporteur libraire

Il est rare que les colporteurs de librairie aient laissé un témoignage de leur activité. On a la chance d'avoir le récit de la campagne que Dominique Villars a entreprise en 1764. Ce texte est extrait d'une des ses autobiographies, actuellement conservée sous forme manuscrite à la Bibliothèque Municipale de Grenoble et reproduite par Georges de Manteyer dans son ouvrage : Les origines de Dominique Villars, Gap, 1922, pp. 210-211.


Elle a été écrite en septembre 1805. Avant de lui laisser la parole, rappelons que Dominique Villars est un botaniste dauphinois, né au Noyer dans les Hautes-Alpes en 1745, mort doyen de la faculté de Strasbourg en 1814.

Il a laissé une des flores provinciales les plus importantes : Histoire des plantes de Dauphiné, publiée entre 1786 et 1789.


Voici le récit de sa campagne de colporteur de librairie :
"A 19 ans, 1764, je pris donc le parti de prier un libraire de mes amis de me prendre avec lui pour six mois afin de voyager, lire, observer. Ce marchand forain partait à l'automne chaque année avec trois à 4.000 liv. de fonds, allait à Lyon faire ses emplettes, joindre à Villefranche ou à Tournus ses camarades et son fonds de magasin de l'année précédente. Ils avaient 18 à 20 malles de livres valant huit à dix mille francs qu'ils promenaient, faisaient transporter d'une ville à l'autre, là où les maîtrises, les privilèges leur permettaient d'aborder et de s'établir. Ils ne pouvaient par conséquent que traverser sans faire aucun séjour dans les grandes villes, Dijon, Besançon, etc. J'avais 300 liv. avec moi pour ma dépense, mais en me rendant utile sans être ni garçon ni associé. Le premier ne convenait ni à ma position ni à mon caractère. Je voulais être libre. Le second ne convenait pas à ma petite fortune. L'ami Courenq c'était le nom du libraire sut m'apprécier : son associé Garcin, moins lettré, moins au fait des usages du monde, voulut m'avoir auprès de lui; ils se divisaient souvent, se réunissaient, s'envoyaient mutuellement des ballots et des relations. Chacun conduisait ou faisait conduire une voiture. J'eus la satisfaction de me voir solliciter par l'un et par l'autre. Je restai avec Courenq par attachement, par inclination comme par reconnaissance. Comme cette campagne arrachée à la tendresse de mon épouse et de ma mère, qui me crurent perdu et qui aux larmes douloureuses réunirent des amis, des sollicitations et des menaces pour l'empêcher, influa sur mon caractère et sur mon sort futur, je dois ajouter quelques détails.
Huit mois après, mes 12 louis me furent rendus et 2 louis pour ma dépense. Je mis à part vingt volumes environ de livres de médecine, de chirurgie et de Botanique. Ils me furent apportés par ces libraires même. J'ai conservé pour eux, ils ont conservé pour moi de l'estime et de l'attachement. Garcin plus hardi, plus hasardeux dans le commerce savait gagner et dépenser en grand. Courenq plus réservé, plus sage, était si économe qu'il calculait rigoureusement l'heure des repas afin de moins les multiplier. Son estomac voulait de l'exercice : le mien du repos pour digérer : il voulait souper et moi déjeuner, quant au diner l'heure de midi nous convenait également à tous les deux.
Pendant ces huit mois de campagne et d'hiver, je vis Lyon, Villefranche, Tournus, Pont de Vaulx, St-Amour, Poligny, Auxonne, Mâcon, Chalons, Dijon, Avallon, Beaune, Vermanton, Clamecy, Auxerre, Joigny, Châtillon sur Seine, Semur, Noyères, etc. Je lisais des livres de médecine, d'anatomie, de botanique, de géographie et de géométrie. Je fréquentais les médecins et les avocats. J'ai trouvé dans ces deux classes, parmi quelques nobles et parmi les chirurgiens, des
âmes généreuses, des hommes éclairés. Les ecclésiastiques en général se sont partout défiés de moi : plusieurs m'ont trouvé surchargé d'amour propre, d'orgueil même et me l'ont dit. Cela pouvait être à leurs yeux, mais ils s'y prennaient mal pour me corriger. Qu'on ne croie pas que je m'estime trop ni que j'aie pris de l'humeur contre les prêtres, lorsqu'il sera question du vertueux et respectable pasteur M. Chaix, je dirai tout ce que je pense de l'homme honnête dans quelle classe qu'il se trouve."

Ce texte est intéressant de plusieurs points de vue. Il montre d'abord que le colportage nécessitait des mises de fonds importantes. Même 300 livres représentent alors une somme conséquente pour un simple cultivateur. Je ne parle pas des 3 à 4000 livres des libraires Courrenq et Garcin. Le colporteur doit obligatoirement s'insérer dans le circuit de la finance locale fait de prêts et d'emprunts, donc de dépendance. Les meilleurs livres sur le sujet restent, à ma connaissance, les travaux de Laurence Fontaine. Elle montre bien comme les notables villageois, avec leurs relais dans les villes étapes, dominent le circuit du financement des colporteurs.

Le premier est une étude plus particulièrement consacrée aux colporteurs de l'Oisans : Le voyage et la mémoire. Colporteurs de l'Oisans au XIXe siècle. Lyon, 1984.


L'autre ouvrage, étude de synthèse, est : Histoire du colportage en Europe. XVe - XIXe siècle., Paris, 1993.


Le colportage de librairie au XVIIIe siècle est particulièrement étudié à travers l'exemple des libraires briançonnais. J'avais déjà abordé le sujet des libraires hauts-alpins qui ont essaimé à travers l'Europe. Je renvoie à la notice que j'ai consacrée à Louis Fantin.

L'autre intérêt de ce texte est de laisser voir le circuit impressionnant que parcouraient les colporteurs libraires dans leurs tournées hivernales. C'est une partie du Lyonnais, de la Bourgogne et de la Franche-Comté qui sont le terrain d'actions de ces colporteurs. Visiblement, ces régions étaient traditionnellement le domaine d'action de nos colporteurs champsaurins (le Champsaur est la région des Hautes-Alpes où se trouve Le Noyer). Un autre colporteur célèbre est Victor Lagier, né à L'Aulagnier en 1788, hameau de Saint-Bonnet-en-Champsaur, et donc voisin du Noyer. Il finit par s'installer définitivement à Dijon en 1809, où il se montra un éditeur actif. Il publia en particulier les travaux de Gabriel Peignot.

Est-ce qu'il faut rapprocher le libraire Courenq dont parle Dominique Villars avec le libraire du même nom, Jean François Courens fils, installé à Grenoble qui a donné une édition du Grenoblo malherou ? C'est probable qu'il s'agisse de son père, le nom étant rare.

Un achat récent, qui semble bien loin de mes centres d'intérêts habituels.

Pourtant, cet ouvrage est lié à beaucoup de choses dont j'ai déjà parlé. D'abord, l'imprimeur, Gauthier neveu (Jean Etienne Gauthier), est originaire du même village du Noyer que Dominique Villars et son installation à Lons-le-Saunier est aussi liée au mouvement d'émigration des libraires hauts-alpins. En effet, il suit un oncle libraire installé à Bourg-en-Bresse, puis à Lons-le-Saunier au début des années 1780. Ensuite, lien avec Dominique Villars, son fils a épousé une petite-fille du botaniste, donnant naissance à la famille Gautier-Villars. Ainsi, Jean-Etienne Gauthier (Gauthier neveu) est l'arrière-grand-père d'Henry Gauthier-Villars, le célèbre Willy. Enfin, pour les amateurs de reliures romantiques, le célèbre Bauzonnet a été en apprentissage chez lui de 1812 à 1816. Voir la notice que lui consacre la bibliothèque de Dôle dans une belle exposition sur Internet (Cliquez-ici).

Sans transition, j'ai décrit un joli petit ouvrage ce week-end, récent achat lyonnais :

Jules Taulier, Notice historique sur Bertrand-Raymbaud Simiane, Baron de Gordes., Grenoble, 1859.

C'est une notice historique sur Bertrand-Rambaud de Simiane, baron de Gordes (1513-1578), lieutenant-général du roi en Dauphiné de 1565 à 1578, pendant les guerres de religion. Il adopta une politique de modération, en veillant à assurer un équilibre entre les deux religions. Il évita ainsi que la Saint-Barthélémy se propageât dans le Dauphiné.

Un exemplaire parfait, dont on pressent qu'il n'a pas changé beaucoup de mains depuis sa parution et sa reliure. Les photos rendent mal la fraîcheur de la reliure, du papier. Pour un ouvrage de 1859, il n'a aucune rousseur. Le texte est instructif sur une certaine façon de faire de l'histoire militante (catholique et provinciale). Néanmoins, sauf erreur de ma part, il n'existe pas d'autres études sur cette personnalité. La vérité de Jules Taulier devient la vérité sur le baron de Gordes.

dimanche 20 septembre 2009

"Statuta Delphinalia", ou un exemplaire des Statuts du Dauphiné de la bibliothèque Prunier de Saint-André.

Avant de céder le Dauphiné à la France, le dernier Dauphin Humbert II a octroyé des droits, franchises et privilèges à ses habitants. C'est le Statut Delphinal, établi le 14 mars 1349. Ce texte représente le passage de franchises locales pour un groupe ou une communauté à des dispositions étendues au Dauphiné tout entier. En 53 articles, le Statut Delphinal stipule en autres la suppression de la Gabelle et de la mainmorte. Le 16 juillet 1349, lors de la prise de possession du Dauphiné par le premier Dauphin de la famille royale de France, Charles (futur Charles V), celui-ci dut jurer de respecter le Statut Delphinal.

Ensuite, tous les Dauphins étaient tenus de jurer de respecter le Statut Delphinal, ainsi que les autres institutions de la province. Cependant, la montée de l'absolutisme royal empiéta peu à peu sur les libertés du Dauphiné. Déjà, le passage dans les textes de la qualification de Principauté à celle de Province était bien le signe tangible d'une intégration toujours plus forte du Dauphiné à la France et ses institutions. Le mouvement d'intégration du Dauphiné à la France s'accéléra à partir du règne de François Ier. L'épisode du refus de ratifier l'ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 n'était qu'un baroud d'honneur. L'ordonnance d'Abbeville, un an plus tard en 1540, mit fin aux velléités du parlement de Grenoble de refuser les ordonnances royales (voir l'ouvrage Ordonnances d'Abeville). Cette perte des libertés provinciales fut définitive lors de la Révolutoin française, en particulier suite à la nuit du 4 août 1789. Paradoxalement, les parlementaires dauphinois hâtèrent cette perte des libertés par leur mouvement de rébellion, illustré par la journée de tuiles à Vizille (7 juin 1788) qui est encore considérée comme un des actes fondateurs de la Révolution française. En pensant défendre leurs libertés, il ne firent qu'accélérer le mouvement d'uniformisation des lois et coutumes en France au détriment des Provinces.

La première édition de ce Statut date de 1508. Sur cette édition, voir ce message :
Fiche libraire : Statuta delphinatus ou les Statuts du Dauphiné, Grenoble, vers 1508.
ainsi que la belle page de titre (catalogue Teissèdre) :



Après deux éditions de 1529 et 1531, l'édition la plus largement diffusée fut imprimée par Pierre Charvys à Grenoble : Statuta Delphinalia, Grenoble, 1619.


J'ai eu la chance de trouver un exemplaire en velin blanc d'époque.


Il provient de de la bibliothèque de la famille Prunier de Saint-André avec l'ex-libris armorié et sa devise "Turris Mea Deus" sur le premier contre-plat (85 x 60 mm) :


Les Prunier de Saint-André appartiennent à un puissante famille de parlementaires dauphinois depuis le début du XVIe siècle (voir Famille Prunier de Saint-André). Selon des informations qui restent à confirmer, la bibliothèque a été constituée à l'origine par Artus II Prunier de Saint-André (1548-1616), premier président au parlement de Provence, puis premier président au parlement de Grenoble en 1603. Cet exemplaire provient probablement de ce noyau initial, par sa date de parution. Ensuite, son petite-fils Nicolas (1628-1692), lui-même président au parlement de Grenoble de 1679 à 1692, aurait complété cette bibliothèque et apposé son ex-libris. Elle est ensuite passée dans la famille de Saint-Ferriol, jusqu'à sa dispersion.

Un portrait d'Artus II Prunier de Saint-André :


Qu'espérer de mieux pour un exemplaire du Statuta Delphinalia : une reliure d'époque, une belle provenance lorsque on sait que cet exemplaire a été entre les mains d'un des plus fameux présidents du Parlement de Grenoble ! N'y-a-t-il pas meilleur possesseur d'un tel texte que celui-là même qui doit en garantir le respect ? Je peux aussi remercier le bibliographe Edmond Maignien. Le seul défaut de cet exemplaire est la mauvaise qualité du papier, avec les rousseurs éparses. Grâce à Edmond Maignien, je sais que c'est le lot commun de tous les exemplaires de cette édition "Edition imprimée sur un papier détestable." Je ne pouvais donc trouver un exemplaire plus parfait !
Il ne me reste plus qu'à trouver les trois premières éditions, en particulière la première, à un prix raisonnable.

Pour conclure, après deux autres édition en 1623 et 1694, qui sont probablement l'édition de 1619 habillée avec un nouveau titre, il n'y a pas eu, à ma connaissance et selon mes recherches, d'autres éditions ni en latin, ni en français. En 1789, sentant peut-être arriver les menaces sur les privilèges des provinces, une souscription a été lancée pour une nouvelle édition : Statuts et Privilèges du Dauphiné. Prospectus pour une nouvelle édition proposée par souscription

mardi 15 septembre 2009

Anniversaire

Il y a deux ans exactement, par un petit matin d'un samedi de septembre, je créai ce blog par un simple message (cliquez-ici). Deux ans plus tard, fidèle à ma démarche, je publie régulièrement, souvent le dimanche soir comme l'auront remarqué mes lecteurs habituels. Depuis un an à peu près, j'étoffe mes messages, mais je reste constant dans ma ligne de conduite qui est de privilégier mon site et de ne faire vivre ce blog que comme le pendant plus interactif du site.

Même si les commentaires sont peu nombreux, la fréquentation en perpétuelle augmentation est un puissant stimulant pour continuer ce travail lourd mais tellement passionnant. C'est aussi une bonne occasion pour moi de mettre en forme mes réflexions sur mes lectures et mes découvertes dauphinoises.

Pour finir ce message anniversaire :

- Une image de ma carte de visite (site + blog) que je vais commencer à distribuer au gré des mes rencontres :


- Des souvenirs de vacances, qui ne font que renforcer mon amour de la montagne, de "mes" montagnes : Les Agneaux, le Glacier d'Arsine et une vue de près du front du glacier d'Arsine (ne dirait-on pas une peau d'éléphant ?)




- Un appel au commentaire pour cet anniversaire. J'y serais sensible.

dimanche 13 septembre 2009

Louise Drevet

Je m'intéresse ce week-end à une personnalité bien oubliée aujourd'hui . Louise Drevet, née Marie-Louise Chaffanel (Grenoble 1835-1898) fut un femme de lettres très active et prolifique dans le dernier tiers du XIXe siècle à Grenoble.


Elle s'était donnée pour but de faire connaître le Dauphiné et toutes les illustrations de la province. Ce fut d'abord par la création d'un journal avec son mari Xavier Drevet (1830-1904),
Le Dauphiné, dont le premier numéro a paru le 15 mai 1863. Cet hebdomadaire voulait mieux faire connaître le Dauphiné aux touristes, en particulier à tous ceux qui venaient prendre les eaux dans les stations thermales comme Uriage. Il contenait aussi des chroniques mondaines et des articles sur l'histoire locales, dont beaucoup ont été tirés à part. Le frontispice a été dessiné par Diodore Rahoult.


Revenons à Louise Drevet. Elle ne s'est pas contentée de rédiger une chronique hebdomadaire dans
Le Dauphiné, sous le pseudonyme de Léo Ferry. Elle écrivit un nombre considérable d'ouvrages romanesques, rassemblés sous le titre de Nouvelles et légendes dauphinoises. Répertorier tous les titres n'a jamais été fait et je ne me suis pas lancé dans cette tâche. D'autant plus qu'il y a eu de multiples rééditions, qui manquent souvent dans les bibliothèques publiques, même à la BNF et dans le fonds Dauphinois de la Bibliothèque Municipale de Grenoble. Le nombre de titre avoisine la soixantaine.

Dans ces nouvelles, Louise Drevt veut faire revivre les vieilles légendes du Dauphiné et faire connaître sa province natale. Comme l'a si bien dit son unique (et fervent) biographe, Henri Jacoubet, elle cherche à "animer le pays qu'elle décrit, rendre la vie à son histoire, repeupler la terre en ressuscitant son passé." Par sa volonté de faire revivre les anciennes légendes du Dauphiné, et par le ton romanesque qu'elle sut donner à tous ses ouvrages, elle fut appelée le Walter Scott du Dauphiné.


On se rend mal compte du succès qu'elle eut en son temps. Elle profitait aussi de ce que son mari avait adjoint une activité d'éditeur à celle de directeur de journal. Elle n'eut dons jamais à se préoccuper de l'édition de ses ouvrages. Son fils Xavier Drevet continua d'éditer pieusement les ouvrages de sa mère, permettant que sa renommée perdure jusque dans la première moitié du XXe siècle.

Aujourd'hui, elle est bien oubliée et seuls quelques passionnés de la chose dauphinoise s'intéressent encore à elle. Paradoxalement, ses ouvrages sont difficiles à trouver aujourd'hui et ils ne se trouvent quasiment jamais en condition bibliophilique. J'ai tout de même réussi à en rassembler quelques uns que j'ai décrit ce week-end :
Le Saule. – L'incendiaire. – Philis de la Charce.
Le porteballe de l'Oisans
Dans le Briançonnais. Colombe. Nouvelle édition.
En diligence de Briançon à Grenoble par le Col du Lautaret. Nouvelle Edition.

Je vais m'intéresser plus particulièrement aux deux premiers.

La nouvelle
Philis de la Charce est une version romancée de la vie de Philis de la Charce (1645-1703), célèbre héroïne dauphinoise qui aurait arrêté les troupes du duc de Savoie au col de Cabre en août 1692, permettant aux Français de reprendre l'initiative et de chasser l'ennemi du territoire qu'il venait de dévaster. Ecrit en 1870, le ton est clairement patriotique. L'ouvrage débute ainsi : "Aux heures terribles où nous sommes, alors que la Patrie en danger appelle auprès d'elle tous ses enfants et réclame tout leur dévouement comme tout leur amour, il importe de citer les traits d'héroïsme qui, à des moments moins néfastes mais aussi solennels, décidèrent du salut du pays." (p. 73).

Le trait d'héroïsme de Philis de la Charce reste discuté, jusqu'à mettre en doute l'existence même du contact avec l'ennemi au col de Cabre. Les érudits se sont partagés entre les anti-Philis et les pro-Philis. Les esprits plus nuancés peuvent se ranger dans la catégorie des si-... La Charce (non, je n'ai pas osé !). Revenons à notre auteure. Louise Drevet se range clairement et sans états d'âme dans le camp de ceux qui croient en l'action décisive de Philis de la Charce, la "Jeanne d'Arc du Dauphiné". Cet ouvrage n'est qu'une version romancée de la vie de Philis de la Charce, mais elle est particulièrement bien documentée.

L'autre ouvrage :

C'est le récit romanesque et dramatique de la vie de deux colporteurs de l'Oisans (Villard-Raymond) dont l'un se consacre à la mercerie et l'autre au colportage lointain des plants de fleurs. Ce qui est plus étonnant est de voir la critique très favorable qu'en font C. Robert-Müller et André Allix dans leur ouvrage de référence, Les colporteurs de l'Oisans, paru en 1925 : "Le colporteur de l'Oisans, maintenant à peu près disparu, a vers la fin du second Empire, à la belle époque, fourni la matière d'un petit roman, aujourd'hui injustement oublié,
Le Porte-Balle de l'Oisans, par Louise Drevet. Les épisodes de fantaisie qui en font l'intérêt sentimental sont brodés sur une trame de vérité. On y voit le colporteur hardi qui va faire fortune en Amérique du Sud avec le commerce des fleurs, et qui après une foule d'aventures revient au pays, ruiné par un naufrage. On y voit aussi le colporteur timide, le gagne-petit; il commence avec une balle de pacotille, approvisionnée de cotonnades peintes par l'imprimerie sur étoffes disparue en 1867 ! - de MM. Périer à Vizille; et arrondit lentement son petit magot par des tournées pédestres à travers le centre de la France. Une photographie prise et publiée en frontispice par M. Xavier Drevet, fils et éditeur de la romancière, est peut-être le seul document qui rende aujourd'hui l'aspect de ces porte-balle d'autrefois."

La photo en question :

Bonne illustration de la démarche de Louis Drevet, cette nouvelle est aussi l'occasion d'expliquer la légende de la "Pierre au Mercier", dans le massif de Belledonne. Considérée comme une sépulture, l'usage veut que chaque passant y ajoute une pierre. Pour plus de renseignements, voir ce document pdf (p. 29) : cliquez-ici.


Voilà, j'espère par ces quelques lignes avoir fait revivre une de nos oubliées du Dauphiné.

lundi 7 septembre 2009

Notes de lectures estivales

L'été se termine, les vacances, quant à elles, sont bien terminées. C'est le moment de passer en revue mes lectures de vacances, dauphinoises et alpines comme il se doit.

Sans ordre particulier, je commence par un petit livre de Bernard Rémy et Jean-Pascal Jospin :
Cularo, Gratianopolis, Grenoble, PUL, 2005, dans la collection Galliæ Civitates, synthèse des connaissances sur le Grenoble antique durant l'époque romaine (IIème siècle avant JC – Vème siècle après JC).

Le mérite du livre est de parcourir l'ensemble des différents aspects de l'histoire de la ville sous l'antiquité : histoire municipale, plan et situation, monuments, enceinte, habitants, vie économique, vie religieuse, etc. en se basant sur les textes littéraires, fort peu nombreux en dehors des lettres de Muniatius Plancus à Cicéron, les restes archéologiques, rares et fragmentaires, hormis l'enceinte du IIIème siècle qui est mieux documentée, et les inscriptions antiques, au nombre de 99. C'est là que nos auteurs rendent hommage au premier travail de collecte et de publications d'inscriptions antiques : Antiquités de Grenoble ou Histoire ancienne de cette ville d'après ses monumens., de Jacques-Joseph Champollion-Figeac, publié à Grenoble en 1807 (pour voir une description précise de cet ouvrage, cliquez ici). Dans cet ouvrage bien documenté, Champollion-Figeac, conscient de l'intérêt de ces inscriptions pour retracer l'histoire de la ville, a inventorié 80 inscriptions, dont certaines ont disparu depuis. Il put en particulier sauver le texte de la dédicace de la porte Herculéenne, une des deux portes monumentales de la ville percées dans l'enceinte du IIIème siècle , à l'emplacement de la place Notre-Dame et détruite en 1802. Autre débat qu'instruit Champollion-Figeac dans son ouvrage : l'emplacement originel de Cularo sur la rive droite ou la rive gauche de l'Isère. Nos auteurs balaient la problématique d'un revers de mains "Il est vain de revenir sur un vieux et inutile débat pour savoir si Cularo était installé sur la rive droite ou la rive gauche de l'Isère, d'autant que la localité occupait peut-être les deux." (p. 36). Au passage, signalons que Jacques-Joseph Champllion-Figec est revenu sur ce débat dans un plaquette paru en 1814 : Nouveaux éclaircissemens sur la ville de Cularo, aujourd'hui Grenoble.


Puisque nous en sommes à l'archéologie, autre lecture :
Mère Eglise en Dévoluy. Un pays et son église., publié en 2007 par l'Association des Amis de Mère Eglise.

Pour ceux qui ne le sauraient pas, il s'agit d'une église romane, particulièrement belle dans sa simplicité, enchâssée dans le cadre aride et sévère du Dévoluy, cette petite région des Hautes-Alpes, cernée de montagne (Pic de Bure, Grand-Ferrand, Obiou, etc.) et isolée du monde. Peu de livres sont consacrées à cette modeste région. Le mérite de celui-ci est de faire précéder les chapitres sur Mère Eglise par quelques synthèses bien documentées sur la géographie, la géologie, l'histoire et la vie religieuse de la région. Ce qui ne gâche rien, l'ouvrage est bien illustré.

Une de mes lointaines ancêtres, Anne Beaume, est née dans le Dévoluy au début du XVIIIe siècle. J'ai eu le plaisir, bien simple je l'avoue, de voir plusieurs fois ce nom de famille citée au fil de la chronique historique et religieuse.


C'est d'un tout autre sujet dont je vais vous entretenir maintenant :
Goitreux et crétins dans les Alpes … et d'ailleurs, d'André Palluel-Guillard, publié par la Société Savoisienne d'histoire et d'archéologie en 2003 :


Vous allez dire, quel sujet ! Je vois même certain penser : mais qui peut bien s'intéresser à cela ? Et pourtant, ce sujet mérite toute notre attention d'amateur d'histoire, mais aussi de bibliophilie. Ces deux fléaux ont été endémiques dans les Alpes jusqu'au siècle dernier. Certaines vallées des Alpes étaient ravagées par le goitre, mais aussi par le crétinisme, offrant aux voyageurs des plaines une vision désolante (et parfois l'occasion d'un humour douteux). L'étude de A. Palluel-Guillard, après avoir décrit le goitre et le crétinisme, s'attache à l'histoire de la recherches des causes et des traitements de ces deux pathologies à travers de nombreux travaux de savants, souvent des médecins, depuis le moyen-âge jusqu'à la fin de du 19e siècle. On y trouve quelques noms illustres : Léonard de Vinci, Fodéré, Coindet, Niepce, etc. Dans l'analyse des causes, l'intérêt est de voir émerger peu à peu, et avec beaucoup de difficultés, l'explication par la carence en iode. Les explications par la mauvaise influence du climat, de la géographie des vallées, de la mauvaise hygiène des populations ont dominé jusqu'à ce que les progrès de la médecine permettent d'asseoir définitivement l'explication par la carence en iode. L'ouvrage donne aussi un aperçu intéressant sur la vision que l'on avait du goitre et du crétinisme. On y apprend que certaine populations valorisaient comme un atout physique le fait d'avoir un beau goitre. L'étude se termine par une bibliographie particulièrement complète, ce qui me permet de revenir à la bibliophilie. En effet, j'ai la chance de posséder dans ma bibliothèque trois ouvrages sur le sujet.

Le premier est un ouvrage du docteur Chabrand, de Briançon, paru en 1864 :
Du goitre et du crétinisme endémiques et de leurs véritables causes. L'ouvrage du docteur Chabrand est particulièrement intéressant puisque, briançonnais d'origine, il applique son travail aux vallées briançonnaises. Visiblement, un de mes prédécesseurs en bibliophilie estimait peu la qualité scientifique de ce travail. Sur une page de garde, ce jugement envoie définitivement l'ouvrage dans l'enfer des livres inutiles et sans intérêt : "travail antiscientifique sans aucune observations précise. Des hypothèses non étayées. Troubles de la circulation ? Influence des températures ? Le type de travail dont on ne tire rien de valable = 0". Je préfére malgré tout le jugement de la notice nécrologique de Chabrand dans le Bulletin de la Société d'Etudes des Hautes-Alpes, en 1898 : "Son étude sur le goitre et le crétinisme dans le Briançonnais mérite d'être signalée, non seulement au point de vue médical, mais encore au point de vue des observations qu'elle contient sur le climat, la végétation, les mœurs des habitants".

L'autre ouvrage, de bien plus grande ampleur, est une étude de Bernard Niepce, médecin à Allevard (au passage, neveu de Nicéphore Niepce), paru en 1851 :
Traité du goitre et du crétinisme suivi de la Statistique des goitreux et des crétins dans la bassin de l'Isère en Savoie, dans les départements de l'Isère, des Hautes-Alpes et des Basses-Alpes. Elle couvre l'ensemble des Alpes françaises et s'enrichit de nombreuses statistiques par vallées et régions.

Dans ces deux ouvrages, il est d'ailleurs intéressant de voir se développer cette morale hygiéniste, qui est un des legs fondamentaux de la pensée du 19e, appliquée au mode de vie des habitants des Alpes. Que de dissertations de nos savants médecins sur les habitudes séculaires du confinement hivernal des Alpins avec les animaux, dans les miasmes d'une promiscuité source de tous les maux ! Et les ravages de l'endogamie !

Le dernier ouvrage est une thèse de médecine, par un étudiant des Hautes-Alpes, Léon Jacques, soutenue à Lyon en 1894 :
Contribution à l'étude du goitre dans les Hautes-Alpes.
A la lecture de cette courte thèse (62 pages), je reste étonné par le niveau extrêmement faible de ce type de travail qui ouvrait pourtant les portes à l'exercice de la médecine. Cette thèse n'est qu'une compilation, courte et mal construite, de travaux antérieurs (Chabrand, Nièpce) , sans recherches ni ouvertures vers de nouvelles pistes. Je vous laisse sur cette belle interrogation : le niveau monte ou le niveau baisse ?


Sans transition, un livre très instructif sur la genèse d'une association aujourd'hui encore très active dans le domaine de la mise en valeur du patrimoine, de la culture et de la défense de l'environnement de la Haute-Provence (pays de Lure et de Forcalquier, en particulier) :
Alpes de Lumière. Cette association a une politique éditoriale très active et publie plusieurs fois par an des ouvrages, qu'elle envoie à ses membres et abonnés. A ce titre, j'ai reçu une étude de Karine-Larissa Basset, sur Pierre Martel, le fondateur et la cheville ouvrière du mouvement de sa création en 1953 jusqu'au début des années 1980 : Pierre Martel et le mouvement Alpes de Lumière. L'invention d'un territoire (1953-1983), 2009.

Ce travail est fondé sur les archives de Pierre Martel. Ce récit, particulièrement bien construit et vivant, éclaire les origines du mouvement, à la croisée du catholicisme sociale et de l'éducation populaire, suivies de son évolution à travers les influences des politiques d'aménagement du territoire, puis la pensée de 68, la construction des territoires et, pour finir, la défense et la mise en valeur du patrimoine. Typiquement, je n'aurai jamais envisagé lire un tel ouvrage, si je ne l'avais pas reçu dans mon abonnement. Je ne regrette pas cette plongée dans la généalogie des courants de pensées environnementalistes et patrimoniaux, si présents aujourd'hui.


Pour finir, un beau livre sur la Chartreuse, qui vient de sortir, avec des photographies de Guillaume Laget (pour avoir une bonne vision de son travail, voir le site www.tetras.org) et un texte de Sébastien Langlais.

J'ai trouvé particulièrement belles toutes ces photographies de levées de soleil sur des mers de nuages. Il faut imaginer les Grenoblois dans la purée de poix, pendant que notre photographe s'élève au dessus, pour voir naître un nouveau jour (et, si j'ai bien compris, être obligé d'y retourner pour vaquer à cette occupation que l'on appelle le travail). Dans la même veine, Guillaume Laget a aussi participé à des ouvrages sur le Vercors et les Ecrins et, avec Sébastien Langlais, ont visiblement d'autres projets.

Votre serviteur a modestement apporté sa contribution en fournissant deux reproductions de gravures anciennes, l'une extraite d'un Guide du voyageur à la Grande-Chartreuse, par Aristide Albert, et l'autre de l'incontournable Album du Dauphiné.


Je n'ai pas épuisé toutes mes lectures de vacances, mais je voudrais répondre à ceux qui pourraient penser que je ne sors pas la tête de mes montagnes ou de mon Dauphiné. Il m'arrive de lire autre chose ! Rapidement, trois lectures que j'ai particulièrement appréciées :

Je ne dirai qu'une chose : ne pas se laisser arrêter par l'idée qu'il s'agit du livre d'un homme politique, avec tout ce que cela implique d'opportunisme. Non, c'est d'abord l'histoire d'un destin et le récit intime de la construction d'une identité, à travers une recherche de ses racines (voir en particulier le passionnant récit de son voyage au Kenya, premier contact avec sa famille paternelle).

Pour ceux qui ne le sauraient pas, le bibliophile dauphinois habite Paris et est encore très heureux d'y habiter. Pour ceux qui veulent comprendre cette ville et qui savent qu'il n'y a pas de meilleur moyen de la connaître que de la parcourir à pied, dans la diversité de ses quartiers, ce livre sera votre guide à Paris :

Pour finir, un petit livre dont il a été tiré un très beau film.