mardi 26 juin 2012

Une exposition au musée de l'alpinisme de Saint-Christophe-en-Oisans et autres considérations.

Ce week-end dernier, j'ai fait une rapide virée à Saint-Christophe-en-Oisans (Isère), au cœur du massif de l'Oisans, pour le vernissage de la dernière exposition du musée de l'alpinisme.



Cette exposition retrace l'histoire et la vie des hébergements qui se sont mis en place dans la vallée depuis l'arrivée des premiers touristes qui partaient à la découverte et à l'exploration de cette vallée de l'Oisans. Elle donne accès à quelques uns des plus grands sommets du massif des Ecrins. Essentiellement fondée sur des témoignages des habitants et des archives, cette exposition nous fait revivre les efforts de la population pour recevoir au mieux les touristes du monde entier, malgré les opinions parfois malveillantes des premiers touristes sur la médiocrité des hébergements dans le massif. Si vous avez l'occasion d'y passer, je vous conseille d'y aller et si vous ne connaissez pas le musée, c'est l'occasion de le découvrir.

J'ai modestement participé à cette exposition en fournissant quelques illustrations, en particulier des planches extraites de Outline Sketches in The High Alps of Dauphiné, de T. G. Bonney, publié à Londres en 1865.


Cet ouvrage contient quelques unes des premières vues des sommets du massif des Ecrins, comme les faces sud et nord de la Meije. Je ne me lasse pas de les reproduire (la face nord avait déjà été représentée, mais jamais avec une telle précision) :




Pour en savoir plus sur cet ouvrage, cliquez-ici.


J'en ai profité pour monter le lendemain à la tête de la Maye. Les 800 mètres de dénivelé au petit matin ont été récompensés par un des plus beaux panoramas qui existent dans les Alpes. J'aurais envie de dire le plus beau, mais on risquerait de me taxer de partialité. Dans tous les cas, c'est un des plus sauvages. J'ai pu y admirer la même face sud de la Meije, représentée par T. G. Bonney :



ainsi que l'extraordinaire face est des Ecrins, une véritable cathédrale :



On peut rapprocher cette vue de ce tableau de Contencin dont je vous avais parlé sur ce blog (cliquez-ici) :


Pour finir cette évocation, je vous rappelle ces trois pages consacrées aux trois principaux sommets du massif des Ecrins :


Considérations diverses (sans lien avec le début du message) :


Le 26 juin prochain se vendent à Toulouse quelques souvenirs du baron de Lassus (1868-1909), un alpiniste pyrénéen. J'avoue ne jamais en avoir entendu parler, mais c'est une région que je connais mal. L'article qui lui est consacré dans la dernière Gazette de Drouot affirme péremptoirement : "Bernard de Lassus a révolutionné la pratique de l'alpinisme". J'ai le sentiment que le rédacteur de l'article est le seul à partager cette opinion. Une photo, qui fait partie de la vente, illustre l'article. Est-ce de l'ironie ou de la méconnaissance de la part du rédacteur ? Chacun jugera ce que l'on doit penser de la révolution introduite par ledit baron :


 Pour les amateurs de Tintin, je trouve qu'ils ont un air de Dupont et Dupond.

dimanche 10 juin 2012

Miscellanées haut-alpines

Il y a presque 3 ans, je vous présentais un travail intéressant d'André Chalandon sur la commune de La Salle les Alpes, près de Briançon, basé sur des cartes postales anciennes (cliquez-ici).

Il vient de publier un nouvel ouvrage, toujours sur la commune de La Salle les Alpes :

La Salle les Alpes. Gens et patrimoine.

L'approche est différente car André Chalandon s'intéresse surtout au patrimoine, tant au niveau des maisons, que du petit patrimoine (portes, heurtoirs, cadrans solaires, cloches, mobiliers des églises, etc). Peu ou prou, tous les aspects du patrimoine de la commune sont abordés. Il veille en particulier à agrémenter son récit d'éléments sur les familles anciennes du village.

Au-delà de l'intérêt de l'ouvrage, j'ai été intéressé par cette description d'un maison de La Chirouze, un des hameaux de la commune :


En effet, cette maison est celle de mes ancêtres. La ferronnerie qui orne l'imposte de l'une des portes fait apparaître la date de 1831 et les initiales FR (photo en haut à droite). C'est François Roux, qui a probablement restauré cette maison après l'avoir achetée en 1830.

Dans le chapitre consacré aux cadrans solaires, j'apprends ainsi que cette maison était ornée d'un cadran solaire répertorié par Raphaël Blanchard. On y voit une photo ancienne de la maison.


Raphaël Blanchard a publié un travail important, et le premier pour la région, sur le recensement et la description des cadrans solaires très nombreux dans le Briançonnais. 


Cette petite plaquette bien illustrée a paru en 1895. Elle fait encore référence, d'autant plus qu'il a vu, décrit et parfois dessiné des cadrans solaires qui ont disparu depuis. Quelques exemples de ses relevés :




Il s'est attaché à relever les nombreuses devises en français ou en latin qui ornent ces cadrans. C'est aussi lui qui a mis en lumière l'activité du peintre piémontais, Zarbula, qui a peint ou restauré de très nombreux cadrans solaires dans le Briançonnais au XIXe siècle (voir un plage qui lui est consacrée : cliquez-ici).


Pour finir, quelques souvenirs de vacances (avril et mai dans les Hautes-Alpes) :

 Le massif de la Meije depuis le Lautaret

Soleil couchant sur Peyre-Eyraud

Bouquetin (en cours de mue), en dessous de l'Aiguillette du Lauzet

 Chamois en montant à l'Izoard

Sabots de Venus

dimanche 3 juin 2012

Quand me bressavoun, par Auguste Thouard, 1910

Au moment même où le français prenait de plus en plus d'importance face aux langues régionales (la Révolution française a marqué un tournant dans la généralisation du français), quelques amis autour de Frédéric Mistral et Joseph Roumanille fondaient le Félibrige, mouvement de défense et d'illustration de la langue d'oc. La naissance officielle a eu lieu au château de Font-Ségugne (Châteauneuf-de-Gadagne, Vaucluse), le 21 mai 1854, jour de la sainte Estelle.

Le jour où Frédéric Mistral terminait son poème Mirèio (Mireille), véritable manifeste de la poésie provençale, le 2 février 1859, naissait à Embrun Auguste Thouard, fils d'un maçon et d'une mercière. Comme d'autres, il allait apporter sa contribution au développement du Félibrige dans les Hautes-Alpes, département qui, rappelons-le, appartient totalement à l'aire du provençal.


Le mouvement de renaissance et de préservation du provençal haut-alpin, et son intégration au mouvement de Félibrige, fut essentiellement l’œuvre de Paul Guillaume. Il réussit à ce que le congrès du Félibrige ait lieu à Gap en 1886.

Devenu avoué, Auguste Thouard resta toute sa vie dans sa ville natale. Très impliqué dans la vie locale, il fut un des animateurs du syndicalisme agricole. Très éphémère maire d'Embrun, il ne persévéra pas dans la carrière politique. En 1910, il publia une vingtaine de contes, des chansons, des comptines, des proverbes, etc. en dialecte embrunais, une des variantes du provençal haut-alpin. Par cette œuvre, il contribua à fixer le parler embrunais, tout en fournissant un large vocabulaire sur la vie quotidienne.



C'est ce petit livre que je présente aujourd'hui, probablement tiré à fort peu d'exemplaires :
Quand me bressavoun. Fatorgos, Faribolos, Vieos Chansouns et Prouverbes. Dialeite de l'Embrunes.Gap, Imprimarié Jean e Peyrot, 1910, in-12, 160 pp., une planche photographique en noir et blanc (portrait) hors texte (Pour en savoir plus, cliquez-ici.)

Il est dédié à sa mère Virginie Garcier, qui fut l'inspiratrice de ce recueil ("Quand me bressavoun" peut se traduire par "Quand on me berçait"). Elle était originaire de Saint-Apollinaire, dans les Hautes-Alpes, petit village au-dessus du lac de Serre-Ponçon, proche d'Embrun. Il reprend les textes qu'elle lui disait ou chantait lorsqu'il était "pechoun".


Les 22 contes qui constituent ce recueil sont souvent des petites scènes de genre de la vie quotidienne, où l'on voit apparaître tout un petit peuple embrunais dans ses activités quotidiennes et ses distractions. Quelques-uns sont des fables morales ou grotesques, qui mettent en scène l'arrivée au Paradis. Il y a souvent le parti pris de l'expression d'une sagesse populaire. A l'occasion, l'auteur ne recule pas devant des situations ridicules ou scatologiques, mais jamais grivoises.

Ces textes ont une dimension folklorique intéressante pour une évocation de la vie traditionnelle dans l'Embrunais au milieu du XIXe siècle. Néanmoins, comme le fait très justement remarquer Arnold Van Gennep dans Les Hautes-Alpes traditionnelles à propos d'Auguste Thouard et d'autres auteurs similaires : "leur inconvénient est que ces auteurs n'ont procédé le plus souvent que par allusion, en supposant connues de tous les coutumes populaires au milieu desquelles se meuvent leurs personnages."

Auguste Thouard est mort en 1925. On le voit parmi ses amis sur une belle photo où l'on croit voir revivre tout un monde disparu de notables IIIe république. On reconnaîtra Clovis Hugues, dont j'ai déjà parlé.


Ce petit ouvrage d'Auguste Thouard étant devenu introuvable, à l'instigation du fils de l'auteur, Auguste Thouard (1895-1985), une nouvelle édition en a été donnée en 1975, reproduisant à l'identique l'édition originale, accompagnée de quelques documents supplémentaires, tous en embrunais ou provençal : un conte inédit (seul reste d'un ensemble plus vaste disparu dans l'incendie de l'imprimerie Louis-Jean à Gap), le fac-similé d'une lettre de Frédéric Mistral, un discours d'Auguste Thouard prononcé sur la tombe d'Eugène Plauchud et l'épitaphe de sa tombe. L'avant-propos rappelle que cette réédition fait suite aux vœux de nombreuses personnalités de la culture provençale (F. Mistral neveu, P. Pons, etc.)


Enfin, en 1983, une troisième édition, financée par Auguste Thouard fils, permet de mettre à disposition une traduction en français de l'œuvre d'Auguste Thouard. Dans son avant-propos, Paul Pons s'explique sur le choix de faire une traduction et sur les difficultés rencontrées. Ce travail est l'œuvre de Mme Buhr-Mottet, mais une quarantaine de mots posait problème. Une enquête auprès de locuteurs régionaux permit de lever ces dernières difficultés. Le texte d'Auguste Thouard est celui de la 2e édition. Quelques documents supplémentaires, un avant-propos de Paul Pons, Majoral du Félibrige, et une iconographie enrichie complètent cette édition.


Cette traduction est précieuse car elle permet à ceux qui, comme moi, ne connaissent par le provençal de se familiariser avec la saveur de ces contes. Il y a un conte sympathique dans lequel il met en scène son grand-père, Guillaume Garcier, né à Saint-Apollinaire en 1793 : Lou chapèu de moun païre gran (Le chapeau de mon grand-père). Dans l'édition de 1983, il est illustré de ce dessin qui ne représente probablement pas son grand-père, mais qui est représentatif de la façon de s'habiller au début du XIXe siècle dans les Hautes-Alpes.


Pour finir, l'exemplaire provient de la bibliothèque de Clément Guigues avec son ex-libris collé sur le premier contre-plat. Clément Guigues (Embrun 25 mai 1863 - 20 février 1938) est le fils de l'illustrateur Emile Guigues. Ancien receveur de l'Enregistrement, il était aussi collectionneur et bibliophile. Son ex-libris a été dessiné par son père.

Pour ceux de mes lecteurs qui, à leurs heures perdues, s'intéressent à l'immobilier de bureaux, ils pourraient faire un lien entre Atis Real Auguste Thouard et notre auteur.  C'est effectivement le fils d'Auguste Thouard, aussi prénommé Auguste, qui créa cette activité avec ses frères.

Sur Auguste Thouard (le père !), cliquez-ici.