dimanche 9 janvier 2022

Jean-Baptiste Genoux (1773-1833), imprimeur-libraire à Gap et inventeur d’un procédé de stéréotypie

Le bulletin de la Société d’Études des Hautes-Alpes, de l'année 2021, vient de paraître. J'ai le plaisir d'y faire paraître une étude sur le premier libraire de Gap (et des Hautes-Alpes) et un des deux premiers imprimeurs du département : Jean-Baptiste Genoux, qui est aussi un des inventeurs de la stéréotypie. J'en profite d'ailleurs pour lui rendre la paternité de cette invention qui a parfois été attribuée à tort à Claude Genoux, l'enfant de Savoie.

 

Le moment venu, je mettrai le lien vers le contenu du bulletin, sur le site de la Société


samedi 18 septembre 2021

Edité à Lons-le-Saunier et pourtant terriblement haut-alpin !

On peut se demander quel rapport il y a entre ce livre de piété : Le Chemin de la Sanctification, publié à Lons-le-Saunier en 1824, et les Hautes-Alpes. Ce n'est évidemment pas par le sujet. Ce n'est pas non plus par l'auteur. L’ouvrage est anonyme et une recherche bibliographique sommaire ne permet pas de l’identifier.

Et pourtant, cet ouvrage et, plus particulièrement, cet exemplaire est quatre fois en lien avec le département : par le libraire qui l’a édité, par l’imprimeur qui l'a produit, par le libraire qui l’a vendu et par sa propriétaire. Il sont en effet tous les quatre hauts-alpins. Cela suffit à lui donner une place ici.

Commençons par le libraire qui l’a publié. Il est noté sur la page de titre : « Lons-le-Saunier, Chez Escalle et Comp.e, Libraires ». Il s’agit de Jean Joseph Escalle, né le 22 août 1797 à La Motte-en-Champsaur, fils d’un propriétaire cultivateur, Joseph Escalle, et de Rose Gauthier, originaire du Noyer. Bien que l’aîné de la famille, il n’a pas repris la suite de son père et a préféré rejoindre son oncle et ses cousins à Lons-le-Saunier comme libraire. Il a obtenu son brevet en mai 1822. Il exercera jusqu’à son décès en 1871, même s’il avait commencé à passer la main à son fils Arthur Escalle dans les années 1860. En 1829, il a épousé Julie Faure, une des petites-filles du botaniste Dominique Villars. Le mariage a eu lieu à Strasbourg.

La famille de sa mère, les Gauthier, comptait de nombreux libraires et éditeurs, installés à Bourg-en-Bresse, Lyon, puis Lons-le-Saunier. Etienne Gauthier, l'oncle de Jean Joseph Escalle, est né le 7 octobre 1772 aux Evarras, hameau de la commune du Noyer. Il a rejoint ses oncles et cousins, libraires à Lons-le-Saunier avant la Révolution.  C’est surtout lui qui a développé l’imprimerie à Lons-le-Saunier. C’est lui qui a imprimé cet ouvrage pour le compte de son neveu, le libraire Escalle.Son seul fils Frédéric (1797-1862) lui a succédé, donnant une grande ampleur à l’imprimerie familiale avant de la céder. Le propre fils de Frédéric Gauthier est Jean-Albert Gauthier-Villars, le célèbre imprimeur scientifique parisien, dont le fils Henry, dit Willy, a eu son moment de célébrité comme écrivain, publiciste et chroniqueur et surtout, aujourd’hui, comme premier mari de Colette.

Comme on le voit, cet ouvrage est le résultat de la fructueuse association d’un oncle et de son neveu, enfants de la « diaspora » haut-alpine installée à Lons-le-Saunier.

L’histoire haut-alpine de cet ouvrage ne s’arrête pas là. C’est maintenant l’exemplaire lui-même qui a sa propre histoire dans le département, plus spécifiquement à Gap.
Le libraire Jean Joseph Silve, né à Selonnet en 1785, ancien domestique de l’évêque de Digne, s’est installé à Gap comme libraire vers 1823, à la demande et avec l’appui du premier évêque de Gap post-concordataire, Mgr Arbaud. Il a obtenu son brevet de libraire en février 1825. Installé rue de Provence, à Gap, il a tenu boutique jusqu’à son décès en 1854. Il  a légué son fonds de commerce à sa servante, Mlle Tardif.

Au moment de son installation, il était probablement le libraire le mieux achalandé de la ville où il s’était plus particulièrement spécialisé dans le livre religieux et classique. Cette activité aujourd’hui marginale de l’édition et du métier de libraire était alors une des principales sources de revenu pour les libraires de province, l’autre activité étant les livres classiques à destination des collégiens.

C’est ainsi qu’en 1825, l’année du Jubilé comme l’atteste une étiquette au premier contre-plat, le libraire Silve proposait cet ouvrage à la vente. Il a aussi collé son étiquette de libraire sur une page de garde. Notons d’ailleurs qu’il y a visiblement eu une hésitation, suivie d’une correction, sur le nom du libraire qui, de Silve, a bien failli s’appeler Sylve.

Enfin, le livre a appartenu à une certaine Antoinette Laffrey qui a apposé sa signature sur la page de titre. Il s’agit très probablement d’Antoinette Laffrey, née à Gap le 2 février 1804, fille de Dominique Joachim Laffrey et Louise Antoinette Cherdame. Il est probable qu’on lui a offert ce livre. A l’époque, il était guère envisageable qu’une jeune fille de bonne famille, âgée de 21 ans, entre chez un libraire pour acheter un livre. Antoinette Laffrey a passé toute sa vie dans les Hautes-Alpes. Elle est morte à Lettret le 3 avril 1878, célibataire.


Pour être complet sur le lien avec le département, il faudrait identifier le relieur de l’ouvrage. A l’époque, les livres étaient vendus en feuilles, non coupés, sous des couvertures muettes d’attente. C’est d’ailleurs à cette époque qu’a commencé à apparaître la couverture imprimée qui permet d’indiquer le contenu de l’ouvrage. Il était donc d’usage de faire relier les livres. Le libraire se chargeait lui-même de le faire ou le confiait à un relieur. Ce pouvait être aussi l'acheteur qui le confiait à un relieur de son choix. Même si cela peut aujourd’hui surprendre, beaucoup de libraires étaient aussi relieurs ou disposaient d’un atelier de reliure. Il était même courant que des relieurs deviennent libraires pour écouler eux-mêmes le résultat de leurs travaux. A notre connaissance, Jean Joseph Silve n’était pas lui-même relieur, mais il pouvait très bien confier ce travail aux nombreux artisans de la ville. Ce sont les obscurs de l’histoire de la reliure. Ils étaient pourtant nombreux, capables de réaliser ces travaux certes modestes, mais soignés. Il n’était alors pas question qu’ils signent leurs travaux. On ne saura jamais qui a relié cet exemplaire, ni même s’il était haut-alpin, mais, connaissant le mode de diffusion du livre dans une petite ville comme Gap, il est fort probable que c’est le travail d’un relieur gapençais.

Pour finir, une autre question reste en suspens. Est-ce de manière délibérée que le libraire Escalle et l'imprimeur Gauthier se sont assurés de la diffusion de leur production dans leur département de naissance ? Ont-ils passé un accord avec le libraire Silve pour que celui-ci diffuse les ouvrages qu’ils publiaient et imprimaient ? C’est fort probable, mais cela reste évidemment à prouver.

Je pense qu’aujourd’hui, le libraire Silve est inconnu de tous. Le souvenir de ce modeste commerçant a été perdu. Si j’en parle aujourd’hui avec tant de détails inédits, c’est que, prochainement, un article sur un imprimeur gapençais va paraître dans le Bulletin de la Société d’Etudes des Hautes-Alpes. En travaillant sur lui, j’ai croisé – si j’ose dire – le libraire Silve et son protecteur ecclésiastique.

Enfin, je ne me suis guère étendu sur l’ouvrage lui-même. C’est vraiment le livre de piété par excellence. Une recherche dans le catalogue de la BNF montre que la première édition semble être de 1811, suivie par de très nombreuses éditions, jusqu’en 1879. Le catalogue ne contient pas moins de 79 notices sur cet ouvrage. On peut d’ailleurs remarquer que l’exemplaire est en bon état, alors que ces ouvrages étaient souvent beaucoup manipulés.

Maison de Jean-Etienne Gauthier,
rue du Commerce, à Lons-le-Saunier


J'ai plusieurs fois évoqué les familles Gauthier et Escalle :

Libraires hauts-alpins dans la France des Lumières

Une conférence sur l'ascendance haut-alpine d'Henry Gauthier-Villars, dit "Willy" avec le lien vers l'article correspondant : cliquez-ici.

lundi 21 juin 2021

Francis ou la Scierie des Eaux-Vives, un roman pour la jeunesse inédit, situé en Oisans

En règle générale, je collectionne les livres, mais je ne dédaigne pas, parfois, de jeter un coup d’œil aux manuscrits et autres pièces uniques. C'est ainsi qu'une maison de ventes aux enchères proposait récemment un roman inédit qui, selon la notice, se passait à Villar d'Arène. Il vient de rejoindre ma collection.
 
En réalité, l'ensemble que j'ai acquis contient deux tapuscrits, dont l'un est ce roman pour la jeunesse et l'autre est aussi un roman, Youssouf le pauvre, qui se passe en Algérie. Ces deux tapuscrits sont reliés ensemble par une couture artisanale sous une chemise en papier fort portant les titres manuscrits des romans et cette mention : « L. Michel Feste-Roussel, 52 rue d’Alsace Lorraine, Oran ».
 

Ils sont chacun composés d'un ensemble de feuillets de 270 x 210 mm., portant le texte sur une seule face. Le premier feuillet, non chiffré, contient le titre.
 

Ils ont respectivement 117 et 44 feuillets chiffrés. Le premier tapuscrit contient de nombreux ajouts, suppressions, corrections et repentirs, certains à la machine à taper mais, pour la plupart, manuscrits. Le chapitrage a aussi été ajouté de façon manuscrite dans le texte qui est tapé en continu.
 

Le deuxième tapuscrit ne contient aucune correction ni aucune annotation manuscrite.
 
Comme je le disais en introduction, Francis ou la Scierie des Eaux-Vives, est un roman d’initiation à destination de la jeunesse qui se déroule en Oisans. C'est l’histoire d’un jeune garçon, Francis, qui trouve sa valeur d’homme en se confrontant à des situations adverses qu'il surmonte. Lorsqu’il rapporte son histoire au narrateur, il a quatorze ans, ce qui veut dire qu’au début du récit, il en a deux ou trois de moins. 
 
Francis est le fils de Jean et Jeanne qui possèdent une scierie à Villar d’Arène, appelée « la scierie des Eaux-Vives ». Le roman débute au moment de la déclaration de guerre en septembre 1939. Le père est mobilisé et son ouvrier Mathieu s’engage pour faire son devoir. Le fils doit donc seconder sa mère pour assurer la vie quotidienne sans pour autant reprendre l’exploitation de la scierie. Il apprend ainsi à labourer et à s’occuper de la maison. Comme il le dit lui-même :
Par la nécessité de ces travaux et sous l'impulsion de ma mère, je me débarrassais peu à peu, sans retour, d'une certaine indolence native. Ce n'est que maintenant que je mesure les étapes parcourues. Le jugement très sûr de ma chère maman et sa volonté souriant faite de douceur et de ténacité, me guidèrent presque à mon insu. [p. 22]
Dans ce parcours, une étape indispensable est l’initiation au ski qu’il apprend seul sur les pentes de Ventelon. Les principales épreuves qu’il a affrontées sont d’abord une expédition dans la neige vers La Grave et la vallée pour trouver du ravitaillement pour le village isolé. Il doit aussi affronter l’hostilité de l’« idiot » du village, Piarre. Plus tard, il doit s’occuper seul de sa petite sœur lorsque leur mère part retrouver leur père blessé à Beauvais. Celui-ci demande à sa femme de porter ce message à son fils :
Une seule chose l’inquiétait : notre avenir.
- Il faut que Francis relève la scierie… qu'il la remette en marche… Si Mathieu revient, il vous aidera… C'est un brave cœur. Mais s’il ne revient pas, tant pis !... vous vous passerez de lui… Il faut que la petite scierie des Eaux-Vives fasse à nouveau entendre sa chanson aux bords de la Romanche… Ce que le père a créé c’est au fils de le continuer… Tu le diras à Francis… , à mon petit gars…, à mon aîné… Je compte sur lui !... Tu lui diras aussi de veiller sur sa sœur, plus tard… Qu'ils vivent bien unis tous les deux… que jamais une querelle d’intérêt, une vilaine question d'argent ne les sépare. [p. 66] 
Répondant à l’appel de son père, Francis entreprend de remettre la scierie en marche. Il doit en particulier rétablir tout le système de captage d’eau qui actionne la turbine. Les épreuves ne sont pas terminées. Il doit ensuite affronter les dégâts causés par un orage et par la malveillance de Piarre. Dans cette succession d’épreuves initiatiques, la dernière est la mission périlleuse en hiver de franchir le col du Lautaret et de rejoindre le Monêtier pour aider le village à faire sauter un barrage qui obstrue la Guisane à la suite de pluies diluviennes. Le roman se termine sur cette mission réussie et le retour providentiel du père que l'on croyait disparu à jamais. On est alors à la fin de l’année 1940 ou 1941, car les dates ne sont pas indiquées et l’écoulement du temps est volontairement imprécis.
 
Le narrateur présente cette histoire comme étant celle que lui a racontée Francis lui-même. Aux trois quarts de l’ouvrage [p. 94], le narrateur clôt le récit dans le récit et poursuit par l’expédition au Monêtier qu’il raconte sur la base des témoignages des acteurs.
 
Deux autres épisodes s’insèrent dans l’ouvrage. Le premier raconte la rencontre, le mariage et l’installation à Villar d’Arène des parents de Francis. Ce passage est l’occasion de raconter un sauvetage en montagne et un trait d’héroïsme et d’abnégation du grand-père de Francis. Il est rapporté comme des confidences faites par la mère du jeune héros à son fils qui les rapporte lui-même au narrateur. Le deuxième épisode est une expédition de la mère de Francis pour rejoindre son mari blessé à Beauvais, en pleine défaite française. Le récit s’attache surtout au retour à Villar en plein exode, sans trains, ni moyens de transport. Pour ajouter au romanesque, l’auteur rapporte que la mère des enfants se charge d’un enfant de plus, Roger de la Touche, dont la mère est morte, tuée par une bombe.
 
Le roman se situe en Oisans. La scierie « Les Eaux-Vives » a été construite par le père de Francis sur des terrains que sa femme possédait à Villar d’Arène. On comprend qu’elle se trouve en aval du village, à une certaine distance, sur un torrent qui alimente la Romanche. L’auteur évoque rapidement la Grave, il cite plusieurs fois le Ventelon où Francis s’entraîne à faire du ski. Il décrit assez précisément le trajet entre Villar et le Monêtier par le Lautaret et, encore plus précisément, le trajet de retour par le col d’Arsine en donnant de nombreux noms de lieux : vallon du Petit Tabuc, lac de la Douche, fontaine du Degoulon, le refuge de l’Alpe, le pas de l’âne à Falque, etc., comme si l’auteur avait lui-même fait cette excursion. La montagne est surtout présente comme le cadre âpre dans lequel se déroule la vie des personnages. Elle s’impose à eux par la violence des phénomènes météorologiques : la neige, l’orage, les pluies diluviennes, les avalanches et, bien entendu, le froid. En revanche, en tant que telle, elle est peu décrite ni nommée, hormis une rapide allusion à la Meije lorsqu’il passe à La Grave : 
Mais en face, de l’autre côté du ravin où gisait la Romanche glacée, l’énorme massif de la Meije, la superbe montagne aux trois pics, toute vêtue de glace, brillait sous le ciel sombre ainsi qu’un gigantesque diamant. [p. 28]
Il cite aussi le Grand Galibier. Une autre région de l’Oisans est le cadre de la rencontre et du mariage des parents de Francis. En effet, ils vivent quelques temps à Chantelouve, près du col d’Ornon, chez le père de Jean. En revanche, la société montagnarde n’est absolument pas décrite, ni même évoquée. Il y a une unique allusion à l’usage de faire la lessive à la cendre deux fois par an, présenté comme propre au pays. L’intrigue pourrait se dérouler dans n’importe quelle société paysanne. D’ailleurs, la psychologie des personnages est assez sommaire. Le parti pris de l’auteur est de ne présenter que des personnalités bienveillantes et prêtes à aider les protagonistes, parfois de façon providentielle. La rencontre entre la mère du héros, coincée à Paris en plein débâcle militaire, et Hélène Dubois qui la prend en charge pour la transporter jusqu’à Lyon en est un exemple. Les épreuves du héros se déroulent dans une société sans heurts ni conflits. Il n’y a même pas de « vrai » méchant qui serve de repoussoir et dont le héros finisse par triompher. 
 
Il s’agit donc d’un « conte » moderne où un jeune garçon doit affronter les éléments déchaînés, la nature dure, parfois la bêtise innocente, mais jamais la méchanceté ou la médiocrité humaine. Au contraire, dans ce monde rude, en pleine guerre, les militaires, les notables – il est souvent fait mention des maires de La Grave, du Villar d’Arène et du Monêtier – , les commerçants font toujours preuve de la plus grande gentillesse, de compréhension quand l’argent vient à manquer, et de reconnaissance lorsque le héros a réussi à sauver la situation. Le seul « méchant » de l’histoire est Piarre, mais il l’est par simplicité d’esprit. D’ailleurs, Francis arrive non seulement à s’en faire un allié, mais l’aide à grandir en intelligence.
 
Le roman se clôt assez curieusement par un éloge du maréchal Pétain qui, comme le héros Francis, se dépasse pour accomplir l’« œuvre de sauvegarde. » Son nom n’est pas cité, mais l’allusion est transparente : 
Et la chaîne des jours heureux allait ainsi être renouée. La vie continuerait, dévoilant tour à tour ses soucis et ses sourires. L'œuvre de sauvegarde de la maison était accomplie. Un enfant s'en était chargé malgré sa faiblesse. Il était resté droit au milieu des ruines, puis il les avait relevées...
En France, pendant le même temps, alors que roulé au gouffre de la défaite, notre pays s'abandonnait, un Homme aux yeux clairs, chargé d'ans et de gloire, lui aussi s'était levé. Il demeura debout alors que tout s'écroulait autour de lui, debout dans la douleur, debout dans la débâcle… Il nous a rassemblés, il nous a ranimés et rendus à nous-mêmes. Par lui, nous sommes redevenus dignes de notre grand passé et dignes de notre avenir. "Père de la Patrie", tel est le nom que l’Histoire lui a déjà décerné. En est-il de plus beau ?... Il ne lui suffit pas encore, car il veut être aussi le père de tous les braves gens de chez nous et le grand-père chéri de tous les petits enfants de France. [p. 117]
Le tapuscrit ne porte aucune date. Cette conclusion du livre peut laisser penser qu'il a été rédigé vers 1942-1944, d'autant plus qu'il utilise le présent pour parler du maréchal. Même si L. Michel Feste-Roussel avait été un nostalgique de Pétain, il n'aurait pas rédigé ces quelques lignes de la même façon s'il l'avait fait après 1945. On ne sait évidemment pas s'il a essayé de publier son roman et, si oui, pourquoi il a été refusé.
 
L'auteur de ce roman est totalement inconnu. Une recherche rapide permet, dans un premier temps, de ne trouver qu'une référence à un prix de l'Académie française, en 1951, et quelques contributions à des recueils de chansons pour enfants. Une recherche plus approfondie m'a permis de trouver les grandes lignes de sa biographie et les références d'autres contributions. 
 
Louis Léon Feste est né à Lons-le-Saunier le 28 octobre 1882, fils d'un employé des chemins de fer, originaire d'Avignon, et d'une piqueuse de bottines, originaire de Lyon. Rapidement, la famille s'installe à Paris. Louis Feste entre dans l'administration des Postes dans laquelle il effectuera toute sa carrière. En 1932, il est contrôleur principal du central téléphonique de Paris-Archives. Il est alors nommé chef de bureau du central téléphonique de Lille-Urbain. Pendant quatre ans, il habite La Madeleine, près de Lille, avant d'être promu chef de bureau du central téléphonique d'Oran-Central en novembre 1936. Il part habiter en Algérie. Après sa mise à la retraite en 1942, il continue à vivre à Oran où il décède le 7 novembre 1960 à 78 ans. Il s'était marié le 19 janvier 1914 à Paris (12e) avec Fanny Roussel qui lui survivra 23 ans. Je ne sais pas s'ils ont eu des enfants.
 
A ses heures perdues, Louis Feste se consacrait à l'écriture. Sa production est difficile à évaluer car, à notre connaissance, il n'a publié aucun ouvrage sous son nom. Il a surtout contribué à des journaux et des revues. Sa première œuvre notable est une pièce en un acte jouée au Vieux-Colombier en décembre 1912 : Églogue. Il a bénéficié de quelques critiques favorables. Après de ce premier essai prometteur, il semble pourtant avoir abandonné le théâtre au profit du conte. On en trouve dans L'Humanité, La Franche-Comté à Paris, journal dans lequel il tient une chronique, Gil Blas, avant la guerre. En 1914, il reçoit un prix pour le scénario d'un film, Le Christ noir, qui ne semble pas avoir été tourné. Après la Première Guerre mondiale, il se tourne vers la littérature de jeunesse en donnant des contes dans Lecture pour tous. Je ne vais pas égrener toutes les modestes contributions qu'il a fournies. En 1936, après un prix pour une féerie pour rôles enfantins, la Nuit enchantée, le journal La Liberté lui consacre un petit article avec une photo, la seule que nous connaissons.
 

Il obtient en 1951 un prix de l'Académie française, le prix Henry Jousselin, pour Chansons et tableau. Sa vie n'est pas suffisamment connue pour connaître les raisons de son intérêt pour l'Oisans. Même si cela reste une supposition, il est probable qu'il y a passé un ou des séjours en vacances, car la lecture de son roman montre une connaissance qui n'est pas seulement livresque de la région. Comme je l'ai noté précédemment, il a dû faire le trajet du Casset à Villar d'Arène par le col d'Arsine, ce qui l'a conduit à en donner le tracé précis dans son récit.
 
Enfin, notons qu'il signe ses premières contributions Louis Feste. Ce n'est, semble-t-il, que vers 1930 qu'il prend l’habitude d'ajouter Michel à son prénom jusqu'à en faire son prénom de plume et de signer du double nom Feste-Roussel, composé avec celui de son épouse.

Il y a peu de romans pour la jeunesse qui ont l'Oisans pour cadre. Je n'en connais que trois.
 
Le premier est La Route de là-bas, de Suzy Arnaud-Valence, paru en 1968. C'est un livre pour adolescents dont le héros, fasciné par une image de la Meije, se fait aide-berger à La Grave et découvre ainsi le monde de la montagne. C'est un récit d'initiation, illustré par Michel Gourlier :
 

 
 
Je l'ai cité en premier car c'est celui qui me semble le plus proche dans l'esprit de Francis ou la Scierie des Eaux-Vives. Si ma mémoire est bonne, il est de meilleure qualité littéraire et surtout plus réaliste dans sa description des personnages et des situations. Probablement qu'en 1968, même dans cette littérature, on en est revenu de l'édification morale à base de  héros adolescents investis d'une mission de sauvegarde.

Le second, plus contemporain, puisque paru en 1944, mais d'un esprit plus proche des enquêtes policières du type "Club des cinq", est La Montagne aux 3 mystères, de Jean des Brosses. Ce livre se déroule dans des lieux imaginaires, mais quelques indices et les illustrations laissent entendre qu'il se passe en Oisans et en Dauphiné.




Enfin, le dernier, dans une genre différent, est Trag, le chamois, sur un texte de Micheline Morin avec des illustrations de Samivel, paru en 1948 pour la première édition. Cette histoire se passe dans le Combeynot, près du Lautaret.
 

 

jeudi 10 septembre 2020

Le tout premier livre imprimé à Gap ?

Un libraire parisien bien connu présentait récemment ce livre de Daubenton avec cette accroche : « Le tout premier livre imprimé à Gap ? ». Le point d'interrogation est bien venu. Ce livre a nécessairement été imprimé à Gap après 1793, qui est la date de l'édition originale. Or, il y a de nombreux livres qui étaient déjà sortis des presses de Joseph Allier, à Gap, avant cette date.


Joseph Allier, né à Grenoble le 15 novembre 1763, est le frère d'un autre Joseph Allier, né à Grenoble en 1749, fondateur d'une dynastie d'imprimeurs grenoblois active jusqu'au XXe siècle. Les autorités nouvellement installées dans le département des Hautes-Alpes ont fait appel au frère cadet pour installer une imprimerie à Gap, dans le nouveau chef-lieu du département. L'objectif était de disposer d'un atelier sur place plutôt que de faire appel aux imprimeurs grenoblois. C'était un gage de qualité et de rapidité.Selon les sources, Joseph Allier serait arrivé en 1790 ou 1791. De fait, dans la Bibliographie historique du Dauphiné pendant la Révolution française, d'Edmond Maignien, les trois premières impressions d'Allier datent d'octobre 1790. Ce sont :

  • Discours prononcé à l'assemblée électorale du district de Gap par M. Bontoux, l'un des électeurs et maire de la commune de Pelleautier, dont l'impression a été ordonnée par l'assemblée électorale du district, ainsi que des motions qui sont à la suite. A Gap, chez J. Allier, imp. du département des Hautes-Alpes (octobre 1790), in-4°, 11 p (n° 1032)
  • Discours prononcé par M. Joseph Serres, chirurgien, à l'assemblée électorale du district de Gap, dans la séance du matin 16 octobre 1790. A Gap, chez J. Allier, imp. du département des Hautes-Alpes, 1790, in-4° 8 p. (n° 1033)
  • Procès-verbal de nomination et élection des juges et suppléants du district de Gap, département des Hautes-Alpes, 15 octobre 1790. Gap, J. Allier, 1790, in-4°, 78p. (n° 1034)

Ensuite, les impressions ont été très nombreuses à partir de cette date. Beaucoup sont de même nature que les trois premières : documents officiels émis par le département ou la municipalité de Gap, textes politiques comme les discours ci-dessus. A côté de cela, apparaissent des « vrais » livres, comme l'Almanach général du département des Hautes-Alpes pour l'année de grâce mil sept cent quatre-vingt-treize ou le Récit historique et moral sur la botanique, de Dominique Chaix, l'ami de Dominique Villars et, de ce dernier, un Mémoire sur l'étude de l'histoire naturelle et qui tend à établir qu'elle doit faire partie de l'éducation nationale, présenté par M. Villar, médecin de l'Hôpital Militaire de Grenoble.

Pour ma part, la première impression gapençaise de ma bibliothèque est une Adresse du District d'Embrun (Hautes-Alpes) à l'Assemblée des Vrais Amis de la Constitution, par Silvain, citoyen soldat des Hautes-Alpes, du district d'Embrun. Il s'agit d'une défense des hôpitaux de Charité, qu'un projet de décret de l'Assemblé Nationale prévoyait d'aliéner. L'auteur défend leur utilité dans les petites villes, en rendant hommage plus particulièrement aux dames religieuses hospitalières d'Embrun. Cette adresse a été lue à la tribune du Club des Jacobins lors de la séance du vendredi 11 février 1791, ce qui permet de dater approximativement cette impression.


En 1791, il existait toujours une imprimerie à Embrun, qui avait été établie par Pierre-François Moyse, de Grenoble, en 1776. Cet établissement était toujours actif. Il disparaîtra peu de temps après le décès de Moyse en 1794. Certes, son fils lui a succédé quelques années, mais il a dû vendre son matériel en 1797. Cette petite plaquette est la preuve tangible que l'imprimerie d'Allier avait pris le pas sur celle de Moyse, même pour des impressions embrunaises. Il y avait probablement une raison politique. Allier a toujours montré une grand attachement à la Révolution et à ses principes, ce qui en faisait l'imprimeur tout trouvé pour produire un document d'esprit révolutionnaire comme celui de Silvain. A l'inverse, Moyse représentait l'ancien monde, celui où la vie intellectuelle du département se trouvait à Embrun, auprès du siège de l'archevêché. Ensuite, la comparaison entre les impressions sorties des deux presses donne clairement l'avantage à Allier, qui disposait d'un jeu de caractères en meilleur état. Les impression de Moyse ont toujours souffert de la mauvaise qualité des caractères utilisés.

Sur Pierre-François Moyse, je renvoie à cet article du blog : L'apparition de l'imprimerie dans les Hautes-Alpes.

 




 

dimanche 2 août 2020

Carte topographique du massif du Mont Pelvoux, par Paul Guillemin, 1879

Dans le cadre d'une recherche dont je vous ferai part en son temps, j’ai été amené à me rendre au département iconographique du Service historique de la Défense. Comme cela arrive parfois, j'ai non seulement trouvé ce que je cherchais, mais j’ai aussi trouvé ce que je ne cherchais pas… J’ai ainsi pu voir et obtenir une reproduction de la Carte topographique du massif du Mont Pelvoux par Paul Guillemin, parue en 1879, que je cite dans le chapitre correspondant de : Le Massif des Écrins. Histoire d'une cartographie de l'antiquité à l'aube du XXe siècle. Au moment de l’élaboration du livre, je l’avais vainement cherchée. Sous réserve de recherches plus approfondies, elle n’existe pas aux Archives départementales dans le fonds Guillemin. Elle n’existe pas non plus dans le fonds cartographique de la Bibliothèque Nationale de France.

Carte topographique du massif du Mont Pelvoux au 1/80.000, par Paul Guillemin, 1879
Source : Service historique de la Défense, Vincennes
La feuille de Briançon de la carte d’État-major (n° 189), parue en 1866, contient pour la première fois une topographie précise du massif des Écrins. En revanche, la toponymie s’avère particulièrement pauvre. Pour reprendre l’exemple cité dans l’ouvrage, la carte d’État-Major de 1866 ne comporte que neuf toponymes pour tout le massif de la Meije. Tous les sommets bien distincts : Grand Pic, Meije centrale, Meije orientale, etc. sont regroupés sous le seul nom de Meije. Autre exemple, les deux glaciers qui descendent de la face nord : glaciers de La Meije et du Tabuchet se retrouvent englobés sous le seul nom de glacier de la Meije. Très vite, il est apparu nécessaire d’enrichir la toponymie, pour, entre autres, rendre plus précises les descriptions des courses et ascensions. En l’état, la carte d’État-Major n’était pas suffisante pour une bonne appréciation des différents sommets que l’on pouvait conquérir.

Deux acteurs majeurs de l’exploration du massif se sont attachés à ce travail d’identification et de désignation, voire de baptême, des points remarquables du massif : sommets, cols, glaciers, brèches, etc. Henry Duhamel, de Grenoble, et Paul Guillemin, de Briançon, se sont tous les deux attelés à ce travail, qui devait naturellement déboucher sur une carte améliorée de ce point de vue. Une concurrence s’est établie entre eux. C’est Paul Guillemin qui publie dès février 1879 cette Carte topographique du massif du Mont Pelvoux au 1/80.000. Il a utilisé comme base de travail la carte de Prudent, publiée en 1874 à l'instigation du CAF, qui était une mise en couleurs et un essai de mise en évidence du relief par des courbes de niveaux fictives. Cette très belle carte a fait l’objet de ma part d’une longue description que vous pouvez lire sur mon site : cliquez-ici.


Carte topographique du Massif du Mont Pelvoux, par le capitaine Prudent, 1874.
Sur cette base, Paul Guillemin a ajouté des noms et des altitudes. Pour rendre l’ensemble plus lisible, ce qui était le défaut de la carte d’État-Major, il a écrit les légendes sur des petites étiquettes, ce qui fait bien ressortir le texte sur la carte. Il a aussi réduit l'échelle, de 1/40.000e à 1/80.000e, de telle sorte que les dimensions sont approximativement de 30 cm (hauteur) sur 50 cm (largeur). Le moyen de reproduction choisie a été de photographier le résultat obtenu et d’en faire une centaine de tirages pour diffusion. Ce procédé était moins couteux et surtout plus rapide que de s’engager dans un travail de gravure. C’est le photographe Jacques Garcin qui s’est chargé de cette publication. Installé à Lyon, celui-ci était originaire du Queyras. Il a souvent collaboré avec Paul Guillemin. Il est en particulier l’auteur d’une des photographies les plus célèbres de l’alpiniste, probablement contemporaine de l’édition de cette carte :

Paul Guillemin, par Jacques Garcin
Ils ont aussi collaboré pour une des plus grandes raretés haut-alpines, à la frontière entre le livre et la photographie : Club Alpin français. Album du Queyras (cent-dix photographies stéréoscopiques), dressé en 1879 par les soins et aux frais de la Section de Briançon du Club Alpin Français. Photographies par Jacques Garcin. Légende par Paul Guillemin, Lyon, imprimerie générale du Rhône, P. Goyard, 1880, in-8°, 8 pp. + 110 vues stéréoscopiques.


Cette carte de Paul Guillemin a été un des motifs de discorde entre lui et Henry Duhamel. En août 1879, ce dernier publie un Coup d'œil sur l'orographie des massifs de la Meije et de la Grande-Ruine, avec une carte dépliante :




Il s’agit d’un travail similaire dans son principe à celui de Paul Guillemin. Dans ce cas, le travail sur la toponymie ne concerne que le massif de la Meije et de la Grande-Ruine. Pour faire croire à une antériorité de sa publication, Henry Duhamel l'a datée de 1878. Lors du conflit qui les opposera, Paul Guillemin sera amené à préciser les conditions de publication des deux cartes :
II est bien vrai qu'en 1890, j'ai fait de larges emprunts à M. Duhamel, mais ce qui n'a pas été dit, ce qu'il fallait dire tout d'abord pour être juste, ce qu'ignorent les membres du bureau de la section de l'Isère et ce que n'ignore pas M. Pierre Lory, c'est que M. Duhamel m'a copié le premier et c'est le moment de révéler la supercherie de M. Duhamel.
Ma propre carte du Pelvoux, la première parue en France, fut mise en vente en février 1879. Aussitôt, M. Duhamel me rejoignit à Lyon, me reprochant d'avoir donné mon travail sur le moment, qu'il m'avait fourni des documents. En attendant, il fit ce qui lui convenait et publia en août 1879 sa carte du massif de la Meije datée de 1878. Je savais qu'il comptait usurper ainsi une sorte de priorité; néanmoins je ne dis rien et ce n'est qu'en 1886, dans l'annuaire du CAF, que je relevais dans une note la supercherie de M. Duhamel. M. Duhamel ne souffla pas mot et dans la Revue Alpine de juillet 1896, il s'est vendu en donnant lui-même, dix-huit ans plus tard, la véritable date de sa première carte : août 1879 et non pas 1878. (source : Les pionniers des Alpes dauphinoises, Pierre Lestas, pp. 33-34).
Certes, il s’agit de la parole de Paul Guillemin. Il est cependant avéré que l’on peut lui faire une plus grande confiance qu’à Duhamel lorsqu’il s’agit de savoir qui dit vrai, les deux hommes n’ayant pas le même rapport à la vérité et à l’honnêteté intellectuelle.

Au-delà de ce conflit de préséance, l’histoire donnera raison à Henry Duhamel, qui avait plus de temps et de moyens pour poursuivre son œuvre de topographe. Le résultat de ses travaux est la publication en 1887, avec le Guide du Haut-Dauphiné, d’une carte en 5 feuilles du massif qui apporte une foule d’informations.

 
Carte du Haute-Dauphiné, Partie NO., par Henry Duhamel, 1887.
Cette carte, par sa large diffusion, lui a donné une influence déterminante sur les mises à jour de la carte d’État-Major. En regard, la carte de Paul Guillemin de 1879 n’a été tirée qu’à 100 exemplaires, au prix unitaire de 3,50 francs.  La diffusion en a donc été très restreinte. De plus, son format et l’impossibilité de la plier facilement, à cause du papier photographique utilisé pour la reproduire, la rendaient peu maniables. Sa rareté dans les collections publiques est la preuve de cette faible diffusion.


Malgré ses activités professionnelles, ce qui était la différence notable avec le rentier Henry Duhamel, Paul Guillemin a travaillé à une nouvelle version de sa carte. Les minutes manuscrites de ce travail se trouvent dans le fonds Guillemin des Archives départementales des Hautes-Alpes (un extrait est reproduit dans notre livre).
Une nouvelle carte a été publiée d'abord en 1890 : Carte topographique du Haut-Dauphiné, au 50.000e, en collaboration avec M. Laëderich, tout aussi rare et introuvable que celle de 1879 (tirage à 200 exemplaires, dont un aux Archives départementales des Hautes-Alpes), puis en 1896, jointe au livre de Saint-Romme : Le Pelvoux. Voyage en zig-zag dans les Hautes-Alpes. Une légende précise qu'elle "est augmentée de 300 noms qui paraissent pour la première fois dans une carte".

Carte du Massif du Pelvoux, par Paul Guillemin, en collaboration avec M. Laëderich, 1896.
P.S : Je pense que cette carte est inédite et qu'elle n'a jamais été reproduite depuis sa parution. Néanmoins, n'ayant pas sous la main toute ma documentation, je n'ai pas pu le vérifier.
P.S. 2 : Après vérification, et sauf erreur de ma part, cette carte est bien inédite. Dans Les Pionniers du Dauphiné, Pierre Lestas reproduit une carte manuscrite, datée et signée de Paul Guillemin à Lyon, en 1875 (fig. 55), qui doit être un brouillon de ses travaux de cartographie. Elle provient aussi du fonds Guillemin des Archives départementales des Hautes-Alpes.

dimanche 5 juillet 2020

Enchères et rareté par l'exemple

Les ventes aux enchères sont une source inépuisable de surprises. Des livres que l'on peut penser très recherchés partent, lorsqu'il partent, à des prix dérisoires. Des livres, que l'on peut penser sans grand intérêt finissent par atteindre des prix que l'on n'aurait pas imaginés. Une vente très récente (1er juillet) m'a permis de vérifier que, bien annoncé, un livre peut parfois dépasser tout ce que l'on considère comme un prix raisonnable.

Le comte d'Hauterive

Lorsque j'ai acheté le samedi 5 mars 2005, si j'en crois mes notes, au regretté Salon du livre et papiers anciens de la Porte de Champerret, un exemplaire des Quelques conseils à un jeune voyageur, je ne pensais évidemment pas avoir acquis une précieuse rareté. Pourtant, un exemplaire vient de se vendre plus de 1000 € le 1er juillet dernier lors de la vente en question (voir le lot).
 


Qu'est-ce qui m'attirait dans cet ouvrage dont le titre, c'est le moins que l'on puisse dire, n'appelle par le chaland ? C'est d'abord l'auteur, Maurice-Alexandre Blanc La Nautte, Comte d'Hauterive, un haut-alpin un peu oublié. Né à Aspres-lès-Corps le 14 avril 1754 et mort à Paris le 27 juillet 1830, Maurice Alexandre Blanc La Nautte (ou La Naute) a mené une carrière diplomatique sous l'Empire et la Restauration, au ministère des Affaires Étrangères, dont il fut en particulier le garde des archives. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont De l'État de la France à la fin de l'An VII et Éléments d'économie politique, paru en 1817. Il a été fait comte d'Hauterive en 1809.
 
L'autre raison est qu'il s'agissait d'un exemplaire de la bibliothèque dauphinoise Couturier de Royas, bien relié par Guetant à Lyon.
 

Quant au contenu, c'est un ouvrage destiné aux jeunes gens du Ministère des Affaires étrangères qui sont amenés à voyager. L'auteur leur donne une méthode et des conseils pour rassembler des informations et les mettre en forme pour pouvoir ensuite les exploiter. Il s'agit de recueillir les informations sous forme de fiches, qu'il appelle des Notes indicatives. Il donne la liste des thèmes sur lesquels le "jeune voyageur" doit s'informer : le système financier, le système judiciaire, etc., en insistant plus particulièrement sur les renseignements de population. Les exemples qu'il donne concernent le Brésil, ce qui peut laisser penser que ce petit livre appartient à la bibliographie brésilienne.
 
Ce qui peut donner l'impression d'une grande rareté est cet avis sur la page de titre qui ne porte aucune indication d'édition, ni d'auteur (voir ci-dessus) :
Nota. Ce travail n'est imprimé que par épreuve et n'est pas destiné au public. Les jeunes gens, pour qui il a été fait, sont priés de s'en réserver exclusivement l'usage, et sur-tout de ne pas le communiquer à des personnes qui soient étrangères ou indifférentes au service. Chaque épreuve portera un numéro, qui sera inscrit sur un registre avec le nom de la personne à qui cette épreuve a été confiée.

La première page porte la date : 14 avril 1826 et la dernière, l'indication "A Paris, de l'Imprimerie Royale".
 
Certes, Paul Colomb de Batines, dans l'Annuaire bibliographique du Dauphiné pour 1837, précise que cet ouvrage est "fort rare". Mais enfin. Dans les bibliothèques publiques de France, il n'y a pas moins de 18 exemplaires (source : CCFr). On a connu des livres plus rares, même si l'on pourrait me rétorquer que, justement, parce que la majorité des exemplaires sont dans des bibliothèques, cela rend d'autant plus rares les exemplaires encore disponibles sur le marché. Actuellement, il y a sur Internet un exemplaire à vendre, provenant de la bibliothèque d'un bibliophile oublié des Hautes-Alpes, Clément Amat. En plus, il est proposé à un prix quatorze fois inférieur à celui de la vente aux enchères, alors que le mien n'était "que" sept fois moins cher. Je sais des livres qui sont en même temps absents ou presque absents des bibliothèques publiques et fort rares sur le marché. C'est d'ailleurs là que réside la vraie rareté.
 
Cela étant dit, je ne voudrais pas que l'amateur qui a acheté ce livre pense qu'il a fait une mauvaise affaire (j'allais dire qu'il s'est laissé entrainer par le savant "habillage" des maisons de ventes aux enchères, mais cela dépasse ma pensée...). Peut-être est-ce moi qui possède un exemplaire que j'ai eu la chance d'acheter à bon prix et dont je ne soupçonne pas la valeur !
 
Tout est dans tout et le contraire de tout. Je ne sais en définitive que conclure !
 


Pour finir, en parlant, et de rareté, et du comte d'Hauterive, il me semble qu'un des 26 exemplaires de la notice biographique parue en 1839 en "jette" plus, surtout lorsqu'on sait que des 26 exemplaires imprimés, dont 25 sur papier de Chine et un sur papier couleur de chair, quatre sont conservés dans des bibliothèques publiques
 

et (accessoirement), un dans ma bibliothèque.

jeudi 18 juin 2020

Histoire de la vie de Charles de Créquy de Blanchefort, Duc de Lesdiguières, Nicolas Chorier, 1683

Le confinement et une belle vente à Dijon m’ont offert l’occasion de me replonger dans la bibliophilie dauphinoise. Depuis longtemps, je collectionne les ouvrages de Nicolas Chorier. L’exemplaire proposé présentait tout ce qui peut en faire un exemplaire désirable. Un texte rare, une belle provenance, dans une belle reliure janséniste de la fin du XIXe par un relieur lyonnais. C’est ainsi que l’Histoire de la vie de Charles de Créquy de Blanchefort, Duc de Lesdiguières, publiée à Grenoble en 1683, vient de rejoindre ma bibliothèque.


C’est une biographie de Charles de Créquy de Blanchefort (ca. 1571 à Canaples (Somme) - 17 mars 1638 à Breme (Italie)), 2e duc de Lesdiguières et pair de France (1626-1638), qui a été fait maréchal de France en 1626, en même temps que son beau-père était nommé connétable. Il a successivement épousé les deux filles de François de Bonne, duc de Lesdiguières et de son épouse Marie Vignon : Madeleine de Bonne (1576-1620) et Françoise de Bonne.


J’ai décrit plus précisément cette édition sur la page que je lui consacre. Je vous y renvoie (cliquez-ici).

Cette acquisition a aussi été l’occasion pour moi d’enrichir ma collection d’ex-libris dauphinois. En effet, cet exemplaire provient d’un célèbre bibliophile lyonnais, Joseph Nouvellet, né à Lyon le 30 décembre 1840 et mort à Saint-André-de-Corcy (Ain) le 20 janvier 1904 (sauf erreur de ma part, je suis le premier à donner les date et lieux de décès exacts de ce bibliophile), dont la bibliothèque a été vendue en 1891 : Catalogue de l'importante et magnifique bibliothèque de M. X. ... de Lyon ... vente aux enchères publiques à l'Hôtel des ventes à Lyon, le lundi 14 décembre et 8 jours suivants, Lyon, 1891, avec Louis Brun, libraire à Lyon, comme expert.


Malgré toutes mes recherches, je n’ai pas trouvé de numérisation en ligne de ce catalogue, ce qui fait que je n’ai pas pu vérifier que cet exemplaire avait été vendu à cette date. Il contient un feuillet ajouté à la reliure avec quelques notes de Joseph Nouvellet, complétées par une autre main, probablement d’un des autres propriétaires de cet exemplaire.


Complément : Après la publication de ce message, un lecteur de ce blog m'a sympathiquement envoyé une image du catalogue Nouvellet où l'on voit que cet exemplaire a été proposé sous le n° de lot 991.


On pourra aussi constater que l'expert s'est contenté de recopier les notes de Joseph Nouvellet dans sa notice...


Je me suis livré sur cet ouvrage à une petite enquête comme je les aime qui m’a conduit à penser que l’édition originale n’était pas cette édition de 1683 chez François Provansal, à Grenoble, mais une édition antérieure de deux ans, de 1681, chez Louis Nicolas, à Grenoble. Seule la Bibliothèque Nationale de France conserverait un exemplaire de cette édition originale et quelques exemplaires ont gardé la page de titre de l’original pour le second livre. Pour ceux que passionnent ce type d’enquête bibliographique, je les renvoie aussi à la page que j’ai consacrée à cet ouvrage. Juste pour conclure, que ce soit 1681 ou 1683, l’impression est probablement de François Provansal et seules les pages de titre ont été changées en 1683 lorsque l’imprimeur François Provensal est aussi devenu libraire à Grenoble en rachetant le fonds de Louis Nicolas et donc les feuilles d’impression qu’ils avaient faites pour lui.

Dans le cours de mes recherches, j’ai été amené à consulter l’exemplaire numérisé de l’University of Michigan, sur Google Books. En général, ils effacent les photos de doigts ou de tous autres moyens utilisés pour tenir l’ouvrage ouvert. Pour cette numérisation, seule un page a conservé la photo originale du doigt de l’opératrice de numérisation dont on peut admirer l’ongle savamment peint. Pour un ouvrage du XVIIe siècle, ce n’était pas le moins que de se décorer les ongles de façon aussi élaborée.