mardi 17 janvier 2012

Un bibliographe dauphinois : Edmond Maignien (1847-1915)

Pour les lecteurs qui ne se sont jamais penchés sur la bibliographie dauphinoise, le nom d'Edmond Maignien ne leur dit sans doute rien. La vie et l'œuvre d'Edmond Maignien méritent pourtant d'être connues. Il représente bien ces érudits des temps passés qui ont amassé et publié une mine d'infirmations sur la bibliographie, qui de leur région, qui de leur sujet de prédilection. Aujourd'hui encore, nous nos référons à ces "travailleurs" de l'ombre de la science bibliographique.




Fils de Charles Maignien, doyen de la Faculté des Lettres de Grenoble, Edmond Maignien est né à Lyon le 6 novembre 1847. Auteur dès 19 ans d'une Notice sur le couvent des Dominicains de Grenoble, son goût pour l'histoire locale ne se démentira jamais. Il entre à la bibliothèque de Grenoble le 30 mars 1869 comme employé attaché à la rédaction du catalogue, sous la responsabilité de Hyacinthe Gariel. Mobilisé lors de la guerre de 1870 et fait prisonnier, il ne reprend pas son emploi à son retour à Grenoble et entre à la Compagnie des chemins de fer. Cependant, en 1879, il est nommé conservateur adjoint de la bibliothèque de Grenoble et entre en fonction le 1er janvier 1880. Après le départ à la retraite d'Hyacinthe Gariel, il devient le conservateur en chef de la bibliothèque, en 1883, poste qu'il occupe jusqu'à sa mort à Grenoble le 5 décembre 1915.

Il a laissé un très important travail de bibliographies sur le Dauphiné. Ses principaux ouvrages sont :
- L'Imprimerie, les Imprimeurs et les Libraires à Grenoble du XVe au XVIIIe siècle, Grenoble, 1884
- Bibliographie historique du Dauphiné pendant la Révolution française, Grenoble, 1891
- Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes du Dauphiné, Grenoble, 1892.
- Catalogue des livres et manuscrits du fonds dauphinois de la Bibliothèque Municipale de Grenoble, Grenoble, 1906-1929
- Catalogue des incunables de la Bibliothèque municipale de Grenoble, Macon, 1899



A côté de cela, il a publié de très nombreuses études historiques, souvent parues dans des revues et tirées à part :  "Pour ses amis, il faisait tirer à part sur papier de luxe quelques exemplaires de ses ouvrages, et aussi à leur intention, il ne demandait à son imprimeur qu'un nombre restreint de brochures. De ces raretés, il se faisait un plaisir de leur adresser la surprise avec quelques mots aimables".

Sa bibliographie comporte 71 numéros, à laquelle il faut ajouter 110 articles parus dans divers revues savantes, dont il n'a pas été fait de tirés à part. Il a aussi laissé de nombreux travaux manuscrits.

Il s'était constitué une importante bibliothèque personnelle et une collection d'antiquités. Sa bibliothèque a été vendue aux enchères à Lyon en 1920 et 1926.

En 1905, il est un des artisans de la création de la Société des Bibliophiles Dauphinois avec Henri Ferrand et G. Vellein. Il en a été un des animateurs les plus actifs, soit comme secrétaire, soit comme président. Il donne de nombreux articles aux bulletins de cette Société (43, sur un total de 113). Il était membre de l'Académie delphinale, de la Société d'Archéologie de Paris et de la Société d'Archéologie de la Drôme.

Je possède quelques ouvrages d'Edmond Maignien :

Cet exemplaire contient une lettre manuscrite d'Edmond Maignien :



Après son décès, G. Vellein lui a consacré une notice biographique chaleureuse et documentée, publiée dans la Petite revue des bibliophiles dauphinois, 2ème série, Tome I, n° 3 (mars 1922). Pour télécharger une version pdf, cliquez-ici.

A la lecture de cette notice, il me vient d'abord une réflexion.

On voit qu'Edmond Maignien a fini ses études en 1865, à l'âge de 18 ans, qu'il a ensuite pu prendre le temps de trouver sa voie, de travailler à une première étude sur l'histoire locale, de devenir membre correspondant de l'Académie delphinale, avant de vraiment commencé à travailler en 1869. Ensuite, c'est sur la base de ses seules compétences et mérites qu'il a pu devenir adjoint du conservateur en 1879, puis conservateur en 1883. Autre temps, autres mœurs ! Les Bac+8 de notre époque apprécieront ces mœurs différentes qui permettaient à un jeune homme bien né et plein de mérite de devenir sur ces seules bases (pas de concours, pas d'études longues) le conservateur d'un des bibliothèques régionales les plus prestigieuses. Reconnaissons que si le procédé peut nous surprendre, le résultat a été à la hauteur des espérances que l'on pouvait attendre de ce talent encore en devenir.

J'ai ensuite retenu ces 3 extraits de cette belle notice biographique.

D'abord, ce portrait de l'homme :
Ses fonctions consciencieusement remplies, ses travaux considérables et, plus encore ses goûts l'ont tenu en dehors du mouvement social de notre temps; il n'éprouvait aucun attrait pour les fêtes bruyantes, pour les plaisirs mondains; sa réserve, un manque de confiance en soi, en sa valeur, l'empêchaient souvent de se produire en société et rendaient inquiets à son esprit les rapports avec les puissants du jour.

Autre passage : la réponse à une interrogation que nous avons tous lorsqu'on voit la capacité de travail de ces érudits (en plus, sans internet, ni ordinateurs, les pauvres malheureux !)
En présence du nombre et de l'importance de ces travaux, on est porté à se demander comment ce fonctionnaire, retenu durant le jour à son poste, a pu les élaborer. Il est certain que ses heures libres de la journée n'auraient pas suffit, il y suppléait en écourtant son sommeil. C'était la nuit, dans le calme et durant le repos des siens, qu'il étudiait, rédigeait, corrigeait ses épreuves. Les voisins étaient accoutumés à voir de la lumière dans son cabinet bien avant dans les ténèbres, et ces veillées prolongées faisaient le désespoir de sa famille.


Enfin, cette extraordinaire scène où Edmond Maignien, aux portes de la mort, veut revoir ses chers livres. A méditer par chacun d'entre nous :
Cependant, peu de temps avant que s'ouvrit pour lui cette mystérieuse porte de l'éternité, il se sentit comme attiré par les muses de sa bibliothèque. A l'heure du crépuscule, profitant d'un éloignement momentané des siens qui s'étaient retirés, croyant le cher malade endormi, il était péniblement descendu de sa couche et, se tenant aux meubles, il s'était dirigé vers son cabinet de travail, pour revoir ses livres et ses collections. Il voulait dire un suprême adieu à ces vieux amis au milieu desquels il avait passé les bonnes heures. Le bruit rappela Mme Maignien qui accourut précipitamment et, tout en le grondant affectueusement, l'aida à regagner sa chambre. Ce coup d’œil rapide jeté sur l'asile du recueillement et de l'érudition, sur les enfants de sa pensée, sur les collections qui lui avaient procuré de douces jouissances au cours de sa laborieuse carrière, fut l'ultime éclair de son activité.
Pour finir, c'est un mail d'un arrière-arrière-petit-fils d'Edmond Maignien qui m'a donné envie de faire ce message sur son ancêtre. Je remercie mes lecteurs, qui me stimulent ainsi à faire découvrir de nouvelles pages de l'histoire du livre en Dauphiné.

4 commentaires:

Librairie L'amour qui bouquine Livres Rares | Rare Books a dit…

Merci pour cet excellent bilet !

Je vais te raconter une anecdote liée à ce personnage et à mes débuts en librairie.

Il y a de cela une bonne dizaine d'années, j'achetais parfois à la salle des ventes de Troyes, avec M. Lardanchet expert. J'ai dû y aller une bonne dizaine de fois, chose que je ne fais plus aujourd'hui, d'ailleurs je me demande s'il y a toujours des ventes de livres à Troyes ? Bref, lors de ma première vente, déjà passionné par tout ce qui touche à l'histoire du livre, je vois un exemplaire de "Catalogue des incunables de la Bibliothèque municipale de Grenoble, Macon, 1899" Beau volume in-8 broché, neuf non coupé. De mémoire une belle impression de chez Protat Frères à Macon. Magnifique ! Et instructifs ! J'achète donc. Pas cher. De mémoire c'était en franc, 100 francs.

A la vente suivante, je suis sur place. Et O surprise ! le même ouvrage, même état. Volume que cette fois je n'ai pas acheté. A la vente suivante, un autre, et puis à la suivante encore un autre etc etc. J'ai bien dû voir passer 10 ou 15 exemplaires de ce même livre.

Alors tu vois, je ne risque pas de l'oublier !

Sans doute que l'expert (Lardanchet de Lyon, assez proche de Grenoble et de Mâcon), avait récupéré un fonds de stock de cet ouvrage. Tous les exemplaires étaient comme neufs.

D'ailleurs, maintenant que j'y pense, je me dis que quelque dix ans plus tard, ils continuent sans doute d'en écouler encore...

Bonne journée,
Bertrand

Jean-Marc Barféty a dit…

Merci.
Dans la même veine, j'ai aussi acheté la collection complète des "Catalogue des livres et manuscrits du fonds dauphinois de la Bibliothèque Municipale de Grenoble", de E. Maignien en 7 volumes à l'état neuf, avec de nombreux exemplaires dans le même état qui sont ressortis il y a aussi une dizaine d'année.
J'ai le sentiment que cela arrive assez souvent car j'ai deux ou trois exemples d'ouvrages qui se mettent à déferler sur le marché pendant quelques temps avant de disparaître. Un stock d'invendus qui ressort.

Jean-Marc

Textor a dit…

Maignien c'est Dufour et Rabut à lui tout seul ... Emouvante cette fin bibliophilique ! Il aurait pu aussi bien disparaitre en machant les pages empoisonnées d'un de ses incunables, quelle apothéose !
Textor

Jean-Marc Barféty a dit…

J'avoue, à ma grande honte, ne pas savoir qui sont Dufour et Rabut...
Si je pouvais avoir un petit éclairage.
Jean-Marc