jeudi 1 janvier 2015

Un manuscrit d'histoire locale

C'est un petit document que je trouve émouvant que je souhaite partager avec vous aujourd'hui. En 1902, Maximin Rey, instituteur à Puy-Saint-Pierre, une commune qui domine Briançon, prend sa plus belle plume pour coucher sur le papier tous les éléments qu'il a rassemblés sur son village de résidence. De tout cela résulte un cahier manuscrit de 51 feuillets (feuilles quadrillées de cahier d'écolier) sous une couverture, portant le titre :
Département des Hautes-Alpes
Arrondissement de Briançon
Monographie de la Commune de Puy St Pierre
par
Rey Maximin, Instituteur
10 juillet 1902
Prière de retourner ce travail à son auteur 
après l'avoir examiné et pris les notes voulues.


La page de titre ne se distingue que par la dernière phrase que Maximin Rey a ajoutée, en forme de sentence qui résume tout son programme : « Pour aimer un pays, il faut le connaître ».


C'est ce programme qu'il applique dans son travail. Dans sa conclusion, qu'il dénomme : « Emploi de la monographie », il précise son objectif :
En un mot faire connaître et aimer son pays, combattre l'émigration, trouver des ressources nouvelles, profiter de l'expérience des anciens pour se diriger dans la vie, tel doit être à mon humble avis l'usage de la monographie communale. Pa là on verra que du labeur de chacun dépend la prospérité et la grandeur de notre pays et de la Patrie.
Il ne s'agit pas du tout d'une vision passéiste et immobile de sa petite patrie, mais plutôt d'une envie de continuer à la faire vivre en ces temps de transformations profondes de la société agricole et pastorale de montagne. Quelques lignes auparavant, Maximin Rey se situe clairement dans la vision progressiste qui était celle des instituteurs du temps.
En morale, nous combattrons les préjugés, les superstitions, les abus, les usages ridicules, pour diriger l'éducation vers le progrès, c'est-à-dire vers la justice et l'humanité.
L'ouvrage contient plusieurs parties : Description géographique, La vie au village, Histoire locale, Archives, L'école. La plus intéressante est La vie au village par les descriptions des usages et coutumes : habitations, mariages, enterrements, costumes, religion, etc. Il a illustré cette partie de dessin à la facture un peu naïve, mais très expressive comme :

Les Pénitents, une institution importante de solidarité villageoise
au moment d'accompagner les décès.

Le détail de la coiffure traditionnelle des Briançonnaises.

L'outil traditionnel utilisé pour "casser" le pain dur,  lorsque on ne le faisait cuire qu'une ou deux fois par an.

Maximin Rey n'a pas hésité à utiliser des photographies collées dans le cahier pour illustrer son travail.

Vue de Briançon au premier plan, avec les casernes, et Puy-Saint-Pierre au 2e plan.

Enfin, je reproduis ci-dessous un exemple de page. On constatera la qualité de l'écriture et sa lisibilité.
Je ne résiste pas au plaisir de transcrire le savoureux début du texte sur le "Caractère". Certes, ce travail est à usage privé, mais, comme l'indiquait le titre, il pouvait être prêté. Cela n'a pas empêché Maximin Rey d'émettre un jugement sans bienveillance, ni compromis, sur ses contemporains. Certes, il n'était pas originaire de ce village, mails il était né seulement quelques kilomètres plus loin. Peut-être faut-il voir dans ce passage la volonté réformatrice de l'instituteur qui souhaitait mettre chacun devant son propre portrait.
A Puy St Pierre, les gens sont dissimulés  et très intéressés. Ils sont extrêmement formalistes et ont peu de confiance les uns aux autres. Les hommes sont rusées, plaideurs et peu sincères, ils ont une haute opinion d'eux-mêmes. Souvent on leur entend dire qu'il faut trois Français pour tromper un Grenoblois et trois Grenoblois pour tromper un Briançonnais.
Quelqu'un a ajouté, d'une écriture différente : « Ce dicton est plus malin qu'exact »

Pour finir, qui était Maximin Rey. Fils de cultivateurs de Saint-Chaffrey, il est né le 8 mai 1858. Instituteur au Lauzet, sur la commune de Mônetier-les-Bains, il s'y marie en 1882 avec Eugénie Vial. Nommé instituteur à Puy-Saint-Pierre en 1894, il y restera jusqu'à sa retraite, le 1er novembre 1910, après 32 ans 5 mois 23 jours de service. Il a eu deux enfants, Fridoline, qui épouse un instituteur de Puy-Saint-Pierre, et Félix, douanier, qui a disparu à Douaumont en mai 1916.

Ce texte a été publié en 2013 par les Éditions Transhumances.


Tous les dessins de l'auteur, ainsi que la grande carte dépliante sont reproduits.

Pour ceux qui ont eu la persévérance d'arriver jusqu'à la fin du texte :
Je vous souhaite une bonne et heureuse année 2015, toujours pleine de découvertes et de plaisirs bibliophiliques, pour les uns, montagnards, pour les autres.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

ravi que tu aies pu acquérir ce petit cahier d'instituteur. Je l'avais depuis quelques années et j'ai proposé son édition à Transhumances et accepté d'en faire une courte présentation.
Bonne pioche et bonne année à nouveau
Jacques