mercredi 1 novembre 2017

Casimir Dumas, éphémère libraire dauphinois

Tous les amateurs de livres de montagne connaissent la somme de John Grand-Carteret : La Montagne à travers les âges, publiée en 2 volumes, en 1903-1904, conjointement par la Librairie dauphinoise de Grenoble et la Librairie savoyarde de Moutiers. Pour chacune des librairies, le nom des libraires est mentionné. Pour la Librairie savoyarde, il s'agit de François Ducloz, qui est aussi l'imprimeur des 2 volumes. En revanche, pour la Librairie dauphinoise, un observateur attentif constatera que le volume de 1903 porte H. Falque et F. Perrin et celui de 1904 porte C. Dumas. 



Tous les bibliophiles familiers des éditions grenobloises connaissent l'abondante et riche production du libraire Félix Perrin. Parmi quelques titres célèbres, nous pouvons citer : Au Pays des Alpins, d'Henry Duhamel, Nos Alpins, avec des textes d'Henri Second et des illustrations d'Eugène Tézier, Chansons populaires recueillies dans les Alpes françaises (Savoie et Dauphiné), de Julien Tiersot, aussi publié avec François Ducloz. Ce ne sont que quelques titres parmi la soixantaine qu'il a publiés entre 1896 et 1903. Malheureusement, la situation financière de Félix Perrin et de son associé s'est vite dégradée, ce qui les a conduit à céder leur activité dans le courant de l'année 1903. Nous ne savons pas dans quelles conditions s'est faite cette cession (faillite ? cession à l'amiable ?), mais ce qui est assuré est que l'affaire est reprise par un certain C. Dumas. Félix Perrin est aussi obligé de vendre sa très riche bibliothèque, à la fin de l'année 1903. Le catalogue de cette vente est une référence sur la bibliographie dauphinoise.

L'envie d'en savoir plus sur ce C. Dumas, envie aiguisée par des papiers provenant de sa famille, m'a conduit à mener quelques recherches sur cette personnalité. Pour commencer, aucun des ouvrages sur la vie dauphinoise et la vie grenobloise de cette époque ne permet de connaître ce Dumas. Il semble être sorti de nulle part.

En fait, Casimir Dumas est né à Corps le 22 février 1862, fils de Casimir Dumas, marchand de rouennerie, et de Marie Pellissier. Comme tous les jeunes gens de bonnae famille de l'Isère, il fait ses études d'abord au Petit séminaire du Rondeau, à Grenoble, pour l'équivalent de notre collège, puis au Lycée de Grenoble (1878-1882). Cette attestation nous donne l'image d'un bon élève à la conduite satisfaisante.


Étudiant à Lyon, il semble que sa conduite se soit dégradée, le conduisant à contracter des dettes. Probablement à la demande de ses parents, en mars 1883, il rédige cet étonnant document, où il autorise "ses père et mère à disposer de leurs biens à leurs décès et de la manière dont ils l'entendront, si je retourne contracter une seule dette ou mal me conduire". Il reconnaît aussi devoir 20 000 francs à son père. 


A la fin de cette même année 1883, il est appelé au service militaire, au 22e régiment d'Infanterie. Il tente d'intégrer l'École spéciale militaire, mais n'y parvient pas. Son service militaire sera aussi assez chaotique. Il manque à l'appel, il est ramené entre 2 gendarmes, il est condamné pour désertion, puis amnistié. Une jeunesse tumultueuse !

Après avoir été libéré du service militaire en 1889, on le retrouve chez ses parents à Corps. En 1891, il est recensé dans leur ménage, montée des Fossés. Son père est marchand de rouennerie, alors que lui est simplement dit être sans profession, malgré ses 28 ans. Après le décès de son père, il reste dans la maison familiale avec sa mère et, à partir de 1896, de sa jeune épouse Gabrielle Catelan, la fille d'un propriétaire et marchand de graines fourragères de Corps. Il est qualifié de propriétaire rentier, comme il le sera encore en 1901 quand le recenseur passera de nouveau. Ainsi, en 1902, avant que nous le voyons apparaître dans le monde de la librairie, à l'âge de 40 ans, après une jeunesse visiblement agitée, il ne semble n'avoir jamais vécu que des rentes que lui a laissées son père et, peut-être, de l'apport de son épouse. On ne trouve pas son nom ni dans les annuaires de la Société des Touristes du Dauphiné, ni dans ceux du Club Alpin Français. Comme on le voit, rien ne semblait le prédisposer à devenir libraire et à reprendre le fonds prestigieux d'une librairie qui s'était spécialisée dans le beau livre alpin et dauphinois.

C'est donc cet homme qui quitte Corps vers 1902 pour s'installer à la villa des Pervenches à la Tronche et, un an plus tard, reprendre le fonds de librairie de Félix Perrin. Il assure immédiatement la publication en 1904 du 2e volume de La Montagne à travers les âges, où il appose son nom seul. Dans un ouvrage publié en 1903, Rêves et indignations, son nom est encore associé à celui d'Henri Falque. Hormis ces 2 ouvrages, je n'ai trouvé qu'une autre publication de sa librairie, sans date : Géographie élémentaire du département de l'Isère, accompagnée d'une notice sur le Dauphiné, d'un questionnaire et d'un dictionnaire des communes, par Andreas Buchner.

Il décède à La Tronche le 8 août 1904, probablement assez brutalement. Il laisse une jeune veuve et 2 enfants. Cette lettre à en-tête de la Librairie dauphinoise, adressée à sa mère et datée du 18 juin 1904 ne fait allusion à aucun problème de santé ni ne montre aucune faiblesse particulière. Quelques jours après sa mort, il est procédé à la liquidation judiciaire de sa société. 


La librairie a ensuite été reprise par M. de Vallée. Cette annonce parue dans La Montagne, le 15 janvier 1905, laisse penser qu'il n'y a pas eu de propriétaire de la librairie entre Félix Perrin et ce dernier : "La librairie Dauphinoise, qui, sous la direction de M. Félix Perrin, a édité nombre de livres importants concernant les Alpes, vient d'être acquise par M. de Vallée, ancien secrétaire général du Syndicat d'initiative de Grenoble. Souhaitons qu'elle nous livre quelques bons volumes sur la montagne." Peut-être que vu de loin, le court passage de Casimir Dumas à la Librairie dauphinoise n'était qu'un intérim. Il est vrai qu'il n'y est passé que de la mi-1903 jusqu'à août 1904.

Sur Félix Perrin et la Librairie dauphinoise : cliquez-ici.

Librairie Dauphinoise dans Nos Alpins, d'Eugène Tézier

Je remercie le libraire "Aux Vieux livres de Gustave" qui m'a confié ces papiers de famille, qui ont été à l'origine de cette brève étude sur la courte vie du libraire Casimir Dumas. Lien vers son site : cliquez-ici.

1 commentaire:

Emmanuel Chochon a dit…

Avec plaisir. Emmanuel Chochon