dimanche 8 mai 2011

L'apparition de l'imprimerie dans les Hautes-Alpes

Un achat récent est l'occasion d'évoquer l'apparition de l'imprimerie dans les Hautes-Alpes. Je ne sais s'il existe une synthèse de la diffusion de l'imprimerie qui ferait apparaître les régions et départements précurseurs, d'une part, et les départements qui ont été parmi les derniers conquis, si j'ose utiliser cette image. Il est probable que le département des Hautes-Alpes est un des derniers qui ont vu l'installation d'une imprimerie permanente sur leurs sols. En effet, il faut attendre la toute fin du XVIIIe siècle pour qu'un imprimeur commence à produire des ouvrages dans le département.

Certes, il existe des ouvrages qui portent des adresses dans le département (Gap ou Embrun) avant cette date, mais il s'agit soit de productions ponctuelles, soit de mentions factices. Il faut attendre Pierre-François Moyse, ouvrier imprimeur né à Paris, installé à Grenoble vers 1760, chez André Giroud.



Il s'installe à Embrun en 1776. Pourquoi Embrun ? On pourrait penser à Gap, l'actuelle préfecture du département. Avant la Révolution, la situation des deux villes était différente. Embrun était le siège d'un archevêché qui couvrait un partie du sud-est de la France. Il avait existé un collège jésuite, jusqu'à l'interdiction des jésuites en France. Cela donnait à la ville une prééminence culturelle, à défaut d'économique, dans la région.

C'est justement un jésuite, le père Rossignol, originaire des Hautes- Alpes, qui, resté dans la ville malgré la suppression de l'ordre, donna beaucoup d'ouvrages à imprimer au tout récent imprimeur-libraire Pierre-François Moyse. Ce jésuite polygraphe dont j'ai déjà parlé (cliquez-ici, en fin de message) avait entrepris de corriger un ouvrage polémique de son ami jésuite François-Xavier de Feller (Bruxelles, 1735 - Ratisbonne 1802),
Examen impartial des époques de la nature, de M. de Buffon. Cet ouvrage a été écrit en réponse aux thèses de Buffon par le jésuite Feller, qui ne manquait pas une occasion de ferrailler avec les auteurs des Lumières. Il avait donc fait paraître cet ouvrage au Luxembourg en 1780, après avoir déjà publié un livre contre Buffon : Examen critique de l'Histoire naturelle, 1773.

Malheureusement, l'ouvrage contenait des erreurs. Mais laissons la parole à Barbier : "L'abbé Rossignol, ex-jésuite, comme l'abbé de Feller, et son grand ami, a donné une seconde édition de cet ouvrage, avec des corrections auxquelles l'auteur ne s'attendait pas. Elles portaient sur les erreurs de Feller en matière de physique et d'astronomie. L'abbé de Feller, loin de se fâcher, fit l'éloge du travail de son ami dans le
Journal de Luxembourg, qu'il rédigeait."

C'est cet ouvrage que le père Rossignol fit imprimer par Moyse en 1781 :


L'imprimeur Moyse fut actif à Embrun de 1776 jusqu'à son décès en 1794 (voir son acte de décès).


Son fils Jean-Louis lui succéda quelques temps, jusqu'en 1797 où il dut quitter la ville par manque de travail. En effet, à ce moment-là, l'archevêché avait été supprimé et le chef-lieu de département avait été situé à Gap. Cette dernière ville s'était alors dotée d'un imprimeur, Allier, aussi originaire de Grenoble, qui imprima l'abondante littérature administrative des toutes nouvelles institutions départementales.

L'érudit Edmond Maignien fit paraître une étude sur cet imprimeur dans la
Petite Revue des Bibliophiles dauphinois en janvier 1915. Il recense 63 ouvrages imprimés par Pierre-François Moyse et son fils.

La majorité des informations de ce message proviennent de cet article. On ne dira jamais assez ce que l'on doit à ces érudits qui publièrent alors des études qui font toujours autorité.

Si vous voulez en savoir plus sur Edmond Maignien, cliquez-ici.


Pour clore ce message, un belle lithographie de la cathédrale d'Embrun, extraite de l'
Album du Dauphiné


5 commentaires:

Textor a dit…

Rien à voir avec Embrun, mais connaissez-vous cette notice d’Anatole Claudin, de 1892, que j’ai sur mes rayons, et qui s’intitule « Barthelemy de la Gorge, Libraire, imprimeur et marchand mercier à Grenoble ( 1516-1522) » ? Ce qui dénote une activité éditoriale assez précoce dans le Dauphiné.
Textor

Jean-Marc Barféty a dit…

Non, je ne connais pas cette plaquette. Merci pour l'information. Sur ce Barthélémy de la Gorge, je n'en connais que ce qu'en dit E. Maignien dans son ouvrage sur les imprimeurs et libraires grenoblois, c'est à dire pas grand chose. Pour lui, il est marchand mercier, libraire et relieur. Il ne lui attribue aucun ouvrage sans sa bibliographie.

Textor a dit…

Je vais vous envoyer quelques photos de cette courte notice de Claudin, qui reproduit jusqu'à la signature de De la Gorge. On ne sait jamais si vous tombiez sur une édition de cet imprimeur.
T

Rouëssé a dit…

Antoine Laurent Bayle (célèbre médecin du XIX) a publié une biographie de son oncle Gaspard Laurent Bayle (1774-1816, non moins célèbre médecin) dans la quelle il rapporte que celui-ci entretenaît une correspondance avec le R.P. Rossignol dont il avait été l'élève au collège d'Embrun et ceci jusqu'à la mort du R.P en 1813, or dans une Biographie universelle, ou dictionnaire historique publié en 1834, il est question d'un R.P Rossignol, lui aussi d'Embrun, lui aussi jésuite mais mort en 1807, s'agit-il du même? D'autre part sait-on si cette correspondance a été publiée
J. Rouëssé

Jean-Marc Barféty a dit…

Je ne peux que rapporter ce qu'en dit A. Rochas dans sa Biographie du Dauphiné :
"Nous ne connaissons pas l'époque précise de sa mort. La Biogr. univ. la place par erreur en 1807; le P. Rossignol écrivait encore en 1810. Colomb de Batines, qui se proposait d'écrire une histoire de la vie et des ouvrages de cet auteur, et qui avait probablement obtenu des renseignements plus exacts auprès de M. Rossignol, curé d'Embrun, son neveu, dit qu'il mourut à Turin en 1817. (Mélanges biogr. et bibliogr., p. 71.)"

Qui sont ces célèbres médecins Bayle ?

Jean-Marc